D'un calvaire à l'autre, l'exode est un voyage à haut risque et chèrement payé par ces damnés fuyant les affres de la guerre. Par notre correspondant en Allemagne, Yosr Belkhiria Ils étaient regroupés autour d'une table dans un petit restaurant oriental dans la ville d'Ingolstadt. Quatre jeunes hommes syriens dont l'âge ne dépasse pas les 30 ans, mais dont les traits en disent long... Ali, Mohamed, Saber et Issam sont des réfugiés syriens arrivés depuis au moins trois mois en Allemagne. «Nous avons fait le même trajet que la plupart des Syriens», souligne Issam dans un soupir profond, faisant savoir qu' « il y a évidemment ceux qui avaient de l'argent pour prendre l'avion vers la Turquie. Mais, pour nous, ce n'était pas le cas. Nous avons marché jusqu'à la frontière de la Turquie et l'avons franchie, laissant derrière nous toute une vie.» Issam incarne l'expérience de plusieurs syriens ayant choisi, depuis le déclenchement de la guerre, de prendre la route vers les pays européens, avec l'espoir de trouver une vie plus sauve. L'Organisation internationale pour les migrants (OIM) et le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) font état de 1.005.504 entrées de migrants en Europe depuis le 22 décembre 2015, et ce, par voie maritime ou terrestre. Partant de Turquie ou du Liban, les réfugiés syriens font de longs trajets, généralement à pied, afin d'arriver en Europe, qui est également la destination des migrants africains et des demandeurs d'asile politique. En Turquie, tout se vend, tout s'achète... Selon Issam, chauffeur de métier, mais actuellement chef de cuisine dans le petit fast-food où a lieu la première rencontre, les policiers turcs collaborent avec des mafias. Pour passer la frontière vers la Turquie, il fallait payer une somme d'argent d'environ mille euros pour que le policier fasse semblant de ne pas vous voir. Ceci n'est que le commencement d'un long chemin de dépenses qui ponctuent ce périlleux périple. Dans cette étape turque, des gens venant d'autres pays pouvaient se procurer des papiers et même la nationalité syrienne pour deux mille dollars. Les papiers leur servent de justificatifs pour réclamer le droit d'asile en Europe. C'est tout un marché: on y trouvait des gens de toutes nationalités, des personnes en lien avec les autorités turques, des intermédiaires... tout se vendait, tout s'achetait. Une fois en Turquie, la phase de la recherche d'un ‘'passeur'' commence. Le migrant fait face à autre type de marché avec trois cas de figure pour passer en Europe et ce en fonction du ‘'niveau de vie'' du candidat, précise Ali. Pour faire le trajet Turquie-Grèce, il fallait une embarcation et quelques séances de formation en pilotage. Celui qui conduisait bénéficiait d'une réduction de 25%. Les autres avaient à payer 1.200 euros pour un canot pneumatique (petite embarcation en plastique-Ndlr), deux mille euros pour une embarcation de taille moyenne et 2.500 et plus pour les yachts touristiques. Comment négocier cet accord ? Il existe en Turquie tout un marché où l'on trouve les négociants de ce type de voyage. Il y a plusieurs offres qui dépendent du niveau de sécurité, du nombre des voyageurs, de la période du voyage. Le meilleur offrant était celui qui emmène sur son moyen de transport le moins de réfugiés et celui qui part le plus tôt. Les Syriens voulaient, à tout prix, quitter la Turquie le plus tôt possible. Les mafias du commerce d'organes y kidnappent les Syriens et surtout les enfants... Le risque était partout et le Syrien n'avait pas de valeur. Cependant, il fallait essayer plusieurs fois pour arriver à conquérir la Grèce. «Il y avait toute une mafia et des techniques pour faire échouer une mission. On faisait croire aux réfugiés que la police marine avait capturé le paquebot pour qu'ils rebroussent chemin», explique Issam. Les migrants étaient obligés de payer de 3 à 5 voyages pour, enfin, arriver au point grec le plus proche. Une fois dans les eaux, on avait deux scénarios possibles: « soit on est capturés par la police turque près des zones militaires, ce qui coûtera quelques mois dans les prisons avant de nous refouler vers la Syrie, soit on est capturés par la police grecque, ce qui nous procurera logement et nourriture en Grèce ». Un troisième scénario était également envisageable : «faire couler le paquebot pour empêcher la police maritime turque de nous capturer et, pourquoi pas, obliger les bateaux commerciaux à nous mener jusqu'à la Grèce», précise Ali. Vers les rails toute... Une fois en Grèce, les réfugiés prenaient le chemin des rails. «Ce voyage maritime qui dure un ou deux jours nous semblait l'étape la plus difficile. On ne savait pas que ce qui nous attendait sur les frontières hongroises et les chemins des rails était encore pire», lancent les jeunes. Une fois sur le territoire européen, on n'avait en tête qu'une seule idée et un seul et unique but : «atteindre l'Allemagne, pays de la liberté et de la belle vie», explique Ali. Nul autre pays européen ne semblait intéressant. Et en Hongrie, nous avons vécu nos pires cauchemars. Cette étape du «Dragon Stage» était même plus difficile que les bombardements en Syrie. Une fois sur les rails, il y avait des gens qui mouraient de faim, d'autres de fatigue, de maladie ou de désespoir... Les causes diffèrent mais le destin est unique: mort loin de sa famille et de sa patrie souffrante. «On m'a pris le passeport puis obligé à marquer mes empreintes dans leurs machines. Je ne savais pas ce que ça signifiait que mon chemin arrivait à sa fin en Hongrie», souligne Issam, un jeune récemment hospitalisé après être tabassé par les policiers hongrois. Issam fut inhumainement agressé en essayant de réclamer son passeport. Des policiers hongrois se sont attaqués à lui, lui causant des factures et une blessure profonde au niveau de la tête, ayant nécessité plusieurs points de suture. Le pauvre réfugié a été hospitalisé pendant quelques mois avant d'être transféré en Allemagne. «Les Hongrois voulaient bénéficier de dons, en nous accueillant. Pour nous, l'Allemagne était la seule et unique destination». Telle était l'image que la plupart des Syriens avaient sur les autorités hongroises. Le voyage peut durer jusqu'à quatre mois. Tout dépend de la période que les réfugiés passaient en Turquie. Entre la Grèce et l'Autriche, ils marchaient pendant une période d'un mois et dix jours. Une fois arrivés en Allemagne, les réfugiés syriens étaient accueillis dans des camps provisoires où sont logées quelques dizaines de personnes sous une tente. Cette période dure quelques semaines jusqu'à leur transfert dans d'autres camps plus aménagés. Des camps misérablement aménagés... Leur rêve était de vivre à l'européenne. Dans des maisons bien aménagées. De vivre à l'allemande et de mener dignement leur vie. Malheureusement, la réalité était très différente du rêve. Des maisons situées aux faubourgs des grandes villes. Des chambrettes de 9m2 et 12m2 au sous-sol d'une ancienne auberge abandonnée. Des lits de ‘'prison''. Des halls abandonnés avec une odeur nauséabonde. Dans sanitaires très mal aménagés. Tout ressemblait à une prison ou des maisons d'arrêt où hommes et femmes de plusieurs nationalités cohabitent. Sur 50 personnes habitant l'auberge que nous avons visitée, 10 seulement sont des Syriens. Tous des hommes. «C'est le plus grand paralogisme de l'histoire Humaine», raconte Issam. «Dire que les camps abritent, en grande partie, des réfugiés syriens est une grande erreur. Les Syriens sont une minorité face aux Irakiens, aux Sud-Africains, aux Maghrébins et à bien d'autres nationalités qui ont profité de la situation syrienne et de ses flux de réfugiés syriens pour accéder en Allemagne. Ils ne dépassent pas les 15%. », ajoute-t-il. Mohamed, un jeune syrien arrivé depuis trois mois en Allemagne se plaint de l'auberge où il habite et des restrictions imposées par l'Etat allemand sur les réfugiés nouvellement arrivés. «Je n'ai pas le droit de travailler, je dois attendre la régularisation de ma situation et la délivrance de mes papiers», fait-il savoir. Il ajoute: «Je suis enfermé dans cette prison. J'ai été une fois emprisonné en Syrie et c'est exactement la même situation que nous vivons aujourd'hui». Il désigne de la main son lit et la chambre où il est hébergé. Mohamed regrette de ne pas avoir rebroussé chemin vers la Syrie où, selon ses dires, il pourra mener « une meilleure vie, même sous les bombardements». En effet, pour les nouveaux arrivés, l'Etat allemand attribue des allocations mensuelles, en plus des vêtements, de l'hébergement et de la nourriture gratuite. Chaque réfugié touche, à son arrivée, une somme allant de 150 à 186 euros. Tout dépend de sa situation familiale. Mais ce qui est sûr, c'est que les réfugiés d'un certain niveau d'études ou ayant une expérience professionnelle étaient plus favorisés. L'accès aux camps n'était pas très difficile étant donné que les réfugiés ont droit, chaque dimanche, à des visites de 13h jusqu'à 22h. Certes, leur vie serait plus risquée, s'ils n'avaient pas quitté leur patrie, mais l'aventure qu'ils ont vécue et leur quotidien dans les camps n'ont rien à voir avec le « German Dream ». Pourvu que les choses s'améliorent et que les «Merkel's promisses» se concrétisent, il y aura encore du chemin à parcourir pour atteindre l'Eldorado promis !