Par Chokri BEN NESSIR Après chaque acte terroriste perpétré, deux avis opposés ressortent du discours politique en réaction au drame. Celui de l'appel à la guerre aux terroristes qui commande un renforcement de la répression, et celui des experts en sécurité qui constatent les limites des mesures de répression et de surveillance et appellent à la prévention. Ifran Saeed, expert du Bureau du contre-terrorisme au State Department à Washington, plaide en faveur de la prévention. « La prévention de radicalisation de l'extrémisme violent va de pair avec la stratégie de lutte contre le terrorisme», souligne-t-il. Si la lutte contre le terrorisme se base sur l'investigation, le renseignement, la persécution et l'arrestation, la prévention prend un chemin tout à fait parallèle dont l'objectif est de dissuader des personnes qui manifestent leur tendance à la radicalisation, de mettre leurs projets à exécution et d'éviter l'importation sur le sol national des pratiques terroristes. Ifran Saeed, qui est à l'origine procureur de la république dont la mission est de protéger le pays par la force de la loi, plaide dans ses nouvelles fonctions au sein du bureau du contre-terrorisme pour la prévention. Il considère que le traitement de la radicalisation passe par un cheminement complexe et une approche pluridisciplinaire impliquant aussi bien les communautés locales que les parents, les enseignants, les chercheurs et les journalistes. Un processus couplé D'abord, la recherche. « On a besoin de comprendre le phénomène et ce sont les recherches et les études qui peuvent nous renseigner», assure-t-il. D'où l'importance d'associer de manière directe les universitaires dans cette démarche. En effet, il affirme à ce propos que «la radicalisation un processus qui conduit quelqu'un à devenir plus fondamental». «Elle se produit lorsqu'une légitimation intellectuelle, philosophique et religieuse du passage à la violence est couplée», souligne-t-il. Il rappelle toutefois que la radicalisation ne concerne pas uniquement l'adhésion à l'islamisme, radical. Il existe d'autres formes d'extrémismes comme le néonazisme, la suprématie blanche ou le Ku Klux Klan par exemple. C'est pourquoi il estime qu'un traitement exclusivement judiciaire et répressif de ce phénomène posera un problème inévitable dans les années à venir. Que faire des extrémistes qui sortiront de prison après avoir fini leurs peines ? De ce fait, pour contrer la menace posée par l'extrémisme, les politiques répressives sont insuffisantes. D'où l'importance de la prévention comme processus de déradicalisation. «C'est un processus extrêmement complexe et délicat à mettre en œuvre, il nécessite un véritable suivi individualisé, l'établissement d'un lien social avec le concerné et une réelle connaissance de la réalité sur le terrain», ajoute Ifran Saeed. Aux Etats-Unis, on dispose d'ores et déjà de plusieurs expériences de déradicalisation à travers des programmes qui ciblent généralement les jeunes à risques ou les personnes déjà impliquées dans des activités extrémistes. Les organisations de la société civile ont adopté différentes méthodes pour la prévention de l'extrémisme. Ces dispositifs ont déjà des retours positifs. Repérer à temps Mais la plus grande difficulté en matière de prévention est de savoir repérer à temps les changements qui s'opèrent auprès des jeunes. « Les profils étant très différents, il n'est pas possible de repérer facilement les personnes à risque. D'où l'importance du rôle de la famille, des parents, et des amis. « Quand ils parlent du jihad, demandez-leur où ils ont pris connaissance du jihad ? Sur internet ? Dans la mosquée ? À l'école ? », conseille l'expert américain. Face à la multitude de profils, il ne peut y avoir une seule et unique réponse, selon Ifran Saeed. « La prévention doit pouvoir aider l'individu en question à s'immerger dans un milieu social qui puisse lui apporter des liens et le sentiment de ne pas être isolé. Il s'agit d'une véritable tâche de resocialisation pour détourner l'individu en rupture mentale et idéologique avec la société, de la violence et de l'extrémisme », assène-t-il tout en rappelant que la radicalisation est souvent favorisée par une rupture sociale ou familiale. Il affirme qu'il y a souvent une fragilité ou un décrochage chez ces jeunes qui ont en commun une situation d'échec, de rupture, une quête de sens ou d'identité. « Le trouble ressenti n'est pas nouveau mais son expression par le biais d'un engagement radical, l'est », affirme-t-il. Il préconise à cet effet une stratégie de prévention qui mobilise les différents acteurs de la société civile dans le domaine de la santé ou de l'éducation pour capter des signaux de radicalisation et intervenir le plus rapidement possible afin de pouvoir réhabiliter et réintégrer ces jeunes. Cette stratégie, rappelle-t-il, a été adoptée en 2012 et est devenue un agenda national.