• Une panoplie de records dans plein de domaines Qui parmi nous n'a pas rêvé un jour d'avoir pour mère, grand-mère ou arrière-grand-mère une femme telle que Tawhida Ben Cheïkh, première bachelière tunisienne musulmane, première médecin musulmane, en Tunisie et dans le monde arabe, première gynécologue femme, première chef de service de gynécologie femme, première Tunisienne membre du Conseil de l'Ordre des médecins de Tunisie, première responsable de la première structure publique de planification familiale, première rédactrice en chef du premier magazine féminin tunisien et femme plus que centenaire…? Tout le monde, sans doute, car avoir ce statut exceptionnel et exemplaire, à plus d'un titre, c'est entrer dans l'histoire par la grande porte. Même son prénom Tawhida, version du concept «unicité», participe sans le vouloir à ce parcours hors du commun. Née le 2 janvier 1909 à Tunis, d'une famille originaire de Ras Jebel (gouvernorat de Bizerte), Tawhida Ben Cheïkh perd son père précocement et est élevée par sa mère. Elle poursuit ses études primaires à l'école de la rue du Pacha et y obtient son certificat d'études primaires en 1922. Elle intègre alors le lycée de la rue de Russie (ex-Armand Fallières) pour devenir en 1928 première bachelière tunisienne musulmane. Grâce aux encouragements du Dr Etienne Burnet (1873 Maurupt-France-1960 Tunis),directeur à partir de 1936 de l'Institut Pasteur de Tunis (après le décès de Charles-Nicolle), elle part en 1929 à Paris poursuivre ses études supérieures. Là et après trois bonnes années d'études, elle obtient le PCB (diplôme de physique, chimie et biologie) lui donnant ainsi droit à l'accès à la faculté de Médecine de Paris pour en sortir diplômée en 1936, après avoir soutenu avec brio, sa thèse de doctorat dont le thème est : « Contribution à l'étude du myxoedème chez le nourrisson» (voir : La Médecine en Tunisie (1881-1994) : Dr Mohamed Moncef Zitouna - Tunis, S.D : 480 p. Simpact). Elle devient ainsi la 31e parmi les cent premiers médecins tunisiens musulmans et ne sera rejointe qu'en 1950 par Hassiba Ghileb (née le 29 octobre 1916), diplômée de la faculté de Paris. Entre-temps et au cours de son séjour à la Ville des Lumières, Tawhida Ben Cheikh adhère à l'Association des étudiants musulmans d'Afrique du Nord en France (1931). En tant que membre de ladite association, elle est invitée à prononcer une allocution à la tribune du congrès de l'Union des femmes françaises (1931), discours dans lequel elle brosse un tableau sur la condition défavorable de la femme musulmane dans les colonies françaises. Toujours lors de son séjour français, elle participe également à la rédaction du bulletin de l'association en question (compte rendu de l'hommage rendu à Tawhida Ben Cheikh organisé à Ras Jebel le 4 novembre 2009 - Ach Chourouq du 8 novembre 2009). Une carrière exemplaire Ainsi auréolée, avec en plus le titre de «la plus jeune lauréate en médecine en France» (Abdelmajid Sahli - Le Renouveau du 22 février 2009), Tawhida Ben Cheikh s'installe à Tunis et commence sa carrière de médecin de libre pratique dans son cabinet, sis au 42, rue Bab Mnara (Leaders. com - 31 décembre 2008), les médecins tunisiens n'ayant pas à l'époque le droit d'exercer dans le secteur public. En Tunisie, Tawhida Ben Cheikh milite pour une meilleure santé de ses compatriotes et s'oriente vers la gynécologie - obstétrique. En 1955, elle devient donc chef du service de ladite spécialité à l'hôpital Charles-Nicolle à Tunis, qu'elle dirigera jusqu'en 1964, date à laquelle elle prendra la tête du service de la même spécialité à l'hôpital Aziza-Othmana à Tunis. Elle dirigera le service jusqu'en 1967, année au cours de laquelle elle fait valoir ses droits à la retraite. Tawhida Ben Cheikh marque encore une fois l'histoire sanitaire de la Tunisie, en prenant en 1970 la tête de la direction de la planification familiale au ministère de la Santé publique, structure fraîchement créée afin de donner une politique déjà amorcée au milieu des années 60, mais assurée jusque-là par l'Association tunisienne du planning familial. Tawhida Ben Cheikh devient aussi la première médecin femme à siéger au Conseil national de l'Ordre des médecins de Tunisie après l'Indépendance (bureau élu en 1959 sous la présidence du Dr Mahmoud El Materi). En 1962, elle sera élue au poste de vice-président, afin de seconder le Dr El Materi. Ce dernier démissionne en 1963 de son poste pour des raisons personnelles, et Tawhida Ben Cheikh travaille donc avec le Dr Tahar Zaouche à la présidence du conseil. Elle gardera son poste jusqu'en 1988, et restera la seule femme dans cette structure jusqu'en juillet 1970 (voir‑: L'Ordre des médecins 1958-2008‑: le bilan. Tunis : publication de l'Ordre des médecins de Tunis 2008, 157 p). Sur le plan extra-professionnel, Tawhida Ben Cheikh continue de militer pour améliorer la condition de ses compatriotes. Membre de l'Association des femmes musulmanes de Tunisie, elle devient ainsi en 1937 première rédactrice en chef du premier magazine féminin tunisien édité en langue française Leïla. Elle milite aussi au sein du Croissant-Rouge tunisien (créé le 7 octobre 1956) pour devenir son vice-président. «C'est une grande dame, affable, courtoise, attentionnée et affectueuse (matbouaâ ou bent hlel ou ness mleh)», nous confie M.S.K. 75 ans, ancienne patiente de la célèbre gynécologue obstétricienne à partir du milieu des années 50 à propos de Tawhida Ben Cheikh. Témoignage que nous avons recueilli et dont l'auteure qui a requis l'anonymat‑— parce que, d'après elle, ne voulant pas être associée à un honneur qu'elle ne mérite pas‑— l'a livré fortement émue. Bonne santé et longue vie donc à notre chère médecin et militante.