Par Mohamed BOUAMOUD C'est une évidence qu'il serait naïf de ne pas regarder en face : soixante ans après l'indépendance de notre pays, l'esprit de l'élite tunisienne, lamentablement sclérosé, incapable de produire la moindre réflexion à même de servir à quelque chose à notre société, est resté colonisé, intimement dépendant de l'esprit français. Tout ce qu'elle nous propose n'est rien d'autre qu'une reproduction simiesque de l'esprit français. C'est, en filigrane, un aveu terrifiant de sa part : ‘‘Oui, nous sommes incapables de réfléchir, par conséquent nous ne pouvons que singer les autres''. En d'autres termes, nous sommes restés de très mauvais élèves de la France. Comme tous les Tunisiens depuis quelques jours, je suis scandalisé jusqu'aux larmes par ce fait divers qui a bouleversé le pays entier : un enfant de 4 ans enlevé, sodomisé puis égorgé par un jeune homme d'environ 25 ans. Malgré l'horreur de cette histoire, elle ne constitue pas, ici, mon propos. C'est d'autre chose que j'aimerais parler. Et donc, au moment même où plus de 90 % des Tunisiens revendiquent en criant l'application de la peine de mort à l'encontre du pédophile-meurtrier, certaines voix, éhontées, ont eu l'insolence de s'élever contre la peine capitale au motif qu'elle est barbare, sauvage, inhumaine et relevant des temps primitifs. Il faudrait rappeler que du temps où M. Caïd Essebsi était Premier ministre (après la révolution, évidemment), pas moins d'une vingtaine d'associations tunisiennes lui avaient adressé une pétition où elles lui demandaient d'abolir la peine de mort et de l'inscrire dans le texte de la Constitution. Pourquoi ? C'est parce que la France, magnifique modèle à suivre, l'avait abolie depuis sa grande révolution. Petits et immatures, nous devrions, nous aussi, faire comme la France. Et ce n'est pas tout. Depuis au moins 40 ans, l'élite tunisienne, les femmes surtout, n'arrête pas d'exiger l'égalité des sexes en matière d'héritage. Probablement par prudence, aussi bien le leader Bourguiba que Ben Ali avaient fait la sourde oreille. Aujourd'hui encore, notamment sur la Toile, des noms, et non des moindres, revendiquent à cor et à cri cette égalité. Pourquoi ? C'est parce que la France, magnifique modèle à suivre, ne reconnaît pas ce principe (logique : ses lois n'ont pas à s'inspirer du Coran). Et donc, nous devrions faire comme la France. Et ce n'est pas tout. Petit à petit depuis une vingtaine d'années, et un peu partout en Europe et en Occident, le mariage gay est devenu, non pas un phénomène de société, mais une réalité. Du coup, plusieurs voix de notre élite sont montées au créneau pour dire que, au nom des droits de l'Homme, le Tunisien a le droit d'épouser un Tunisien. Ce qui, jusqu'à il y a peu de temps, était considéré comme une honte, une pratique contre nature, risque de devenir chez nous une réalité. Pourquoi ? C'est parce que la chère France – toujours elle – reconnaît cette insulte à l'espèce humaine comme faisant partie des droits de l'Homme. Et alors, tête baissée, nous devrions à notre tour faire comme la France. Pour être modernes comme les Français... ! Au début des années 1990, l'éditorialiste de la revue Le Point Claude Imbert écrivait ceci en substance de son article : « Ils sont bizarres les Arabes : ils ne copient que nos défauts, jamais nos qualités ». J'ai envie de répondre : non, Claude Imbert, nous ne sommes pas bizarres, nous sommes tout simplement petits, sans cervelle, nous ne réfléchissons pas. C'est ça notre vérité ! Je me dois de revenir à la question de la peine de mort pour signaler une chose à mon avis très importante. Une amie française me disait il y a quelques années se sentir couverte de honte chaque fois qu'elle se rappelle que des noms illustres tels que Robespierre, Danton et Louis XVI aient pu être guillotinés. A dire vrai, les Robespierre et compagnie ne m'intéressent ni de près ni de loin ; ils sont des Français, je suis un Tunisien. L'esprit français, les lois françaises et la culture française sont l'affaire des Français, pas la nôtre. Quand est-ce que l'élite tunisienne se réveillera et se rendra à l'évidence que nous sommes une nation à part, avons une culture à part, une religion à part, ainsi que des habitudes et des réflexes qui sont les nôtres, et qu'en somme, nous n'avons pas à copier les Français dans tout ce qu'ils font ? Car ce que je reproche à notre élite, ce n'est pas tant l'égalité en matière d'héritage, ou l'abolition de la peine de mort, ou encore le mariage gay (je n'ai rien à perdre, rien à gagner), mais ceci : pourquoi est-ce que jamais cette élite n'a conçu une idée, un principe ou un concept à même de faire en sorte que les Français en arrivent à nous copier ? Pourquoi est-ce toujours nous qui les copions ? (ne confondons pas les choses : la langue française n'est rien d'autre pour nous qu'un instrument, tout juste un instrument, rien de plus).