Un agent de police des frontières interdit à une jeune femme de rejoindre son vol pour Belgrade sans raison apparente et le porte-parole du ministère de l'Intérieur avance des explications peu convaincantes Rihab May est une jeune Tunisienne âgée de 26 ans. Cette coordinatrice en marketing dans une entreprise de télécommunication ne s'attendait pas à vivre un tel cauchemar à l'aéroport de Tunis-Carthage. Comme dit l'adage tunisien, Rihab voulait «changer un peu d'air» à l'étranger. Alors, elle a opté pour une destination très tendance pour les jeunes et surtout ne nécessitant pas de visa: Belgrade. Célèbre pour l'ambiance de sa vie nocturne et ses châteaux haut perchés ainsi que ses monastères enfouis entre les plis des vallées verdoyantes, la capitale de la Serbie est parmi les plus belles cités des Balkans. Or, le rêve de Melle May a fini par se transformer en un véritable cauchemar. Arrivée vers 4h30 du matin à l'aéroport, vu que son vol était prévu à 7h30, notre compatriote a été stoppée net par la police des frontières et sans raison apparente. Munie de son passeport, du billet d'avion, de la réservation de l'hôtel, d'une autorisation parentale pour voyager à l'étranger, d'une attestation de travail, d'un titre de congé et d'une somme de 1.180 euros, Rihab ne s'attendait pas à subir un interrogatoire méprisant de la part de l'agent. Deux autres femmes ont subi le même sort « Mes papiers étaient en règle et pourtant ils m'ont bombardée de questions du genre: «Avec toute cette somme en euro pourquoi tu n'as pas choisi d'aller à Paris au lieu de Belgrade ?», raconte-t-elle. Et d'ajouter : «L'un des agents était convaincu que mes documents étaient en règle, si bien que j'ai entendu celui qui m'a mis à l'écart, dire à son collègue : «Et alors, de nos jours, même des médecins ont été refoulés. Et pour cause : plusieurs d'entre eux ont profité de ce genre de voyage pour émigrer illégalement». A première vue, tout porte à croire que la jeune Rihab et les autres femmes ont été vraisemblablement victimes de pratiques sexistes car, toujours selon ses dires, les hommes interpellés en même temps qu'elle ont fini par être autorisés à rejoindre leur vol, ce que les agents n'ont pas fait avec elle et d'autres filles. Pis encore, poursuit-elle : «L'agent a même remis en cause l'authenticité de mon attestation de travail et de mon titre de congé. Il m'a demandé une fiche de paie. Avez-vous déjà entendu parler d'un voyageur qui trimbale un bulletin de paie dans un aéroport ? Par ailleurs, est-il normal qu'un agent de la police des frontières fasse des remarques sur la coloration blonde des mèches d'une femme? Est-ce que le fait d'avoir choisi cette destination suffit pour douter de mes motifs de voyage?», s'interroge-t-elle. Non seulement la jeune Rihab a été empêchée de rejoindre son vol, mais en plus, d'après ses dires, elle a été mise dans une situation très embarrassante où les autres voyageurs la dévisageaient comme si elle était suspectée d'un délit ou d'un acte criminel. Le comble de l'histoire pour Rihab, c'est que vers 7h25, avec beaucoup de sang-froid, l'agent lui a dit texto : «Si tu veux porter plainte, tu peux aller prendre contact avec le ministre de l'Intérieur». Le ministère de l'Intérieur reste vague et ne convainc pas Maintenant, la jeune Rihab n'a plus d'autre choix que de prier pour qu'elle ne soit pas de nouveau interdite de voyage ce vendredi (le deuxième vol hebdomadaire à destination Belgrade). En attendant, son séjour de 8 jours risque d'être raccourci de trois jours. «J'espère qu'ils vont me laisser passer ce vendredi car les agents de voyages ne remboursent pas les voyageurs pour ce genre de mésaventures et je risque bel et bien de perdre les 1.170 DT que j'ai versés», dit-elle. Devant une telle injustice, Melle May a décidé de charger un avocat pour demander réparation pour les préjudices qu'elle a subis. Contacté par La Presse, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, M. Yasser Mesbah, nous a donné l'explication suivante : «Les autorités serbes interdisent l'accès à leur territoire tout touriste qui présente une allocation touristique inférieure à 50 euros par jour. Or la fille en question n'avait pas le montant nécessaire pour franchir la frontière serbe». Or La Presse a pu obtenir une copie du document de change des devises de la part de la victime qui atteste avoir été en possession d'une somme de 1.180 euros pour un séjour de 8 jours. Donc avec une simple opération, on obtient une allocation touristique de 147,4 euros par jour. Il reste à signaler qu'une autre source sécuritaire avait déclaré à nos confrères de «Akherkabaronline» qu'une telle interdiction se justifie du fait que les autorités serbes avaient déjà demandé à leurs homologues tunisiens d'être plus fermes et vigilants dans les vérifications des identités des voyageurs à destination de l'aéroport de Belgrade. Toujours selon cette source, l'aéroport de la capitale de la Serbie est devenu un passage aux combattants étrangers pour rejoindre les zones de conflits tels que l'Irak et la Syrie, et un véritable carrefour pour l'émigration clandestine vers les pays de l'Union européenne et, selon d'autres sources, au trafic lié aux réseaux de prostitution. Toutefois, cette même source n'a pas porté des accusations contre Rihab May et a tenu à préciser «qu'il n'y avait rien contre sa personne», lit-on sur le portail d'Akherkhabaronline. Une entorse à la Constitution tunisienne Rappelons que selon l'article 24 de la nouvelle Constitution tunisienne, les citoyens ont le droit de choisir leur lieu de résidence, de se déplacer librement dans le pays, et le droit de le quitter. D'autre part, l'article 49 de la constitution stipule que toute restriction des droits humains garantis par cette dernière doit avant tout être inscrite dans la loi, «sans porter atteinte à leur essence. Ces moyens de contrôle ne sont mis en place que par la nécessité que demande un Etat civil démocratique et pour protéger les droits des tiers ou pour des raisons de sécurité publique, de défense nationale, de santé publique ou de morale publique, et avec le respect de la proportionnalité et de la nécessité de ces contrôles». Et d'après l'organisation Human Rights Watch, «le fait de donner à la police le pouvoir d'interdire des déplacements, sans examen indépendant et équitable par un tribunal, et sans aucun fondement clair dans le droit national, constitue une violation du droit à la liberté de mouvement inscrite dans l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pidcp) et de l'article 12 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Cadhp)». En effet, selon ces deux traités dont la Tunisie est signataire, «toute personne a le droit de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. Si le Pidcp autorise des restrictions à ce droit pour des motifs liés à la sécurité nationale, celles-ci se doivent d'être proportionnées par rapport au but recherché. De la même façon, toute restriction à ce droit aux termes de la Cadhp doit être «prévue par la loi», souligne l'organisation non gouvernementale sur son site officiel. Voilà de quoi attiser les inquiétudes des jeunes femmes tunisiennes désirant voyager en solitaire à l'étranger.