L'Utap (Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche) a mis en garde les autorités contre l'importation de viandes bovine et ovine dans le but de réguler le marché, notamment, au cours du mois de Ramadan. Selon cette organisation, la mesure est de nature à nuire aux agriculteurs. La mise en garde a été réitérée à plusieurs reprises auparavant et à chaque fois que le gouvernement avait tenté d'intervenir en faveur des consommateurs. Ces derniers, justement, sont les laissés-pour-compte et leurs doléances restent vaines face à l'entêtement des professionnels du secteur et des représentants des agriculteurs. Le Tunisien consomme 12 kg de viande/an Aux dires des responsables de l'Utap, la production est suffisante et parvient à couvrir la demande. Les statistiques, dans ce sens, ne les contredisent pas. On estime, en effet, que notre production de viandes bovine et ovine, en général, n'accuse aucun déficit. On parvient à produire jusqu'à 121.000 tonnes de viandes rouges/an pour une demande qui ne dépasse pas les 123.000 tonnes. Soit une couverture qui tourne autour de 99 %. Dans cette production, il faut tenir compte des deux produits les plus consommés (à savoir la viande de mouton et celle de bœuf). Il y a, aussi, la viande caprine dont on produit jusqu'à 20.000 tonnes, annuellement. Sur ce point, les Tunisiens savent, tous, que certains bouchers la refilent à leurs clients au prix de la viande de mouton. Mais là c'est une autre paire de manches. D'autres animaux fournissent des quantités non moins négligeables comme les camélidés ou les équidés, voire la race asinienne. Quant à la consommation par habitant, elle est estimée à 12 kg/tête et par an. En d'autres termes, cela veut dire un kg par mois. Ce taux aurait été inférieur s'il n'y avait pas l'Aïd El Idha. Au vu de ces indicateurs, on est en droit de s'interroger sur la levée de boucliers de l'Utap. Quels intérêts cherche-t-on, vraiment, à défendre ? Ceux des agriculteurs (les petits ou les grands) ou des intérêts strictement individuels et sectaires ? Dans la mentalité du Tunisien, l'agriculteur a toujours été du côté du peuple et proche de lui. Il n'a jamais cherché à exploiter la misère des couches sociales les plus faibles pour arracher des avantages à l'Etat. Ces avantages, faut-il le souligner, représentent l'argent du peuple. Les responsables de la corporation savent, pertinemment, que les prix des viandes rouges sont toujours élevés et restent hors de portée de la bourse du consommateur moyen. Ce qu'ils affirment à propos d'une baisse n'est pas vérifiable. Il suffit de s'adresser au premier boucher. Même dans les grandes surfaces ces prix n'ont pas connu les baisses annoncées. De plus, il y a plusieurs pratiques pour écouler une viande de basse qualité à des prix qui ne correspondent pas à la vérité des prix. Cela, sans parler des balances et des truquages pour tricher au niveau du poids. Importation insignifiante Quel est, alors, le problème ? Quels sont les impacts invoqués sur les producteurs locaux, si impacts il y a ? N'est-on pas en train d'exagérer les choses et de tirer les draps du côté d'une partie plutôt que l'autre ? La question mérite d'être examinée sous d'autres angles. Evoquer, uniquement, le producteur reviendrait à dire que c'est l'arbre qui cache la forêt. Dans ce secteur, les intervenants sont nombreux et leurs intérêts divergent. D'ailleurs, on ne s'étonnera pas de voir les prix des viandes (rouges et blanches) monter en flèche avec l'arrivée du mois de Ramadan, dans les prochains jours. La filière viande, en réalité, doit être traitée en profondeur. Ce n'est pas l'importation occasionnelle de quelques tonnes qui résoudra le problème. Ce n'est pas, non plus, en se pliant à des injonctions venues de structures syndicales ou professionnelles. Les importations n'ont jamais été aussi faibles. Il y a une dizaine d'années, elles étaient d'environ 7.600 tonnes. Aujourd'hui, elles dépassent, à peine, les 3.000. Or, ces quantités ne sont pas écoulées de façon rationnelle sur les différents marchés. Et, ce qui encourage les bouchers à maintenir des prix assez élevés, c'est la clientèle qui dispose d'un pouvoir d'achat plus élevé que la moyenne. Elle est capable de s'approvisionner en grandes quantités sans se soucier du prix. De ce fait, le commerçant n'a aucun souci pour vendre sa marchandise au prix qu'il fixe. Le consommateur à faible revenu, par contre, n'a aucun recours. Ce n'est pas la viande importée qui va le sauver puisqu'elle ne sera pas assez importante pour dissuader les spéculateurs. Ainsi, donc, le vrai travail consiste à réformer les circuits et à en moraliser les pratiques. Avec des grossistes dont le nombre ne dépasse pas les doigts d'une seule main et quelques unités de découpe, l'approvisionnement du marché restera, toujours, sous l'influence de ce monopole et les autres ne pourront qu'en subir les conséquences. Contrôle et modernisation des équipements D'autre part, il faudrait revoir la carte de production pour moduler la demande et réduire les intermédiaires. En effet, on remarque que près de 40 % des abattoirs se trouvent dans le nord du pays (sur un total qui dépasse les 200). Les conditions de travail restent en deçà des normes requises. Le contrôle doit s'y imposer de manière méthodique. De même, la modernisation des équipements doit être à l'ordre du jour. En outre, le volet de l'alimentation animale est appelé à une révision de fond en comble. C'est l'un des maillons faibles de la chaîne. Les coûts sont élevés et les producteurs s'en plaignent lorsqu'ils vont vendre leurs bêtes auprès des maquignons. La situation est telle que le prix du kg vif d'un mouton de 25/26 kg se négocie autour de 9 DT. Celui d'un taurillon franchit, rarement, le seuil de 7 dinars. Conséquence : le prix de la carcasse de mouton revient à 19 ou 20 dinars et celle du taurillon à 12 ou 13 dinars. Les bouchers usent de moyens plus ou moins réguliers en abattant eux-mêmes les animaux et revendent les abats à des prix tellement variés et variables qu'ils rentrent aisément dans leurs frais et s'assurent des bénéfices très conséquents. Ainsi, ils sont gagnants sur tous les fronts. Pourtant, tout le monde se plaint. L'agriculteur, nous dit la corporation, va mourir. Le boucher, qui vend à perte, va fermer boutique ! Qui va-t-on croire ? Notre conseil, ici, aux uns et aux autres, c'est de se reconvertir et d'aller faire autre chose si vraiment l'agriculture ne rapporte rien et que le métier de boucher n'est pas la bonne affaire. En revanche, personne ne pourra dire que le consommateur est gâté ou qu'il est bien loti. Ce que chacun attend, en fin de compte, c'est que les droits des uns et des autres soient préservés sans user de subterfuges ou de mensonges.