Wahida Mayy poursuit, dans ce roman, caméra à l'épaule, l'inlassable fuite en avant de Nawwa qui se trouve profondément marquée par plusieurs personnages qui apparaissent successivement dans sa vie et qui, chacun à sa manière, l'entraînent vers l'abîme. Elle semble se soumettre, accepter l'asservissement, pour doper sa volonté de survivre ‘'Il était une fois... !'' Non, ce n'est manifestement pas avec cette expression en tête que Wahida Mayy a écrit son roman. Ici, nous sommes aussi loin du conte de fées qu'il est possible de l'être. De fait, l'ouvrage est diamétralement opposé à toute notion d'espérance, des premières aux dernières pages, alors que Nawwa ne cesse de recevoir des coups, au propre et au figuré. Voici une petite fille, Nawwa , la petite dernière de ses six sœurs, qui grandit dans un village où le simple fait d'arriver chaque jour à l'école est une performance. Ce n'est pas simplement à cause de l'éloignement, du manque de sentiers, des souliers qui partent en morceaux... Un père esclavagiste, violent, indigne leur rend, à toutes, la vie impossible. Surtout à sa mère, Chama, qui accepte tout pour ‘'sauver'' ses filles. Cette mère que son père battait. Un jour, pour la défendre, Nawwa lui jeta une pierre au visage, lui faisant perdre un œil. Il finit par mourir mais seulement après plusieurs années au cours desquelles il fit subir le martyre à Nawwa . Fuir, encore et toujours Elle finit par fuir la misère absolue, vers la grande ville. Chama n'est pourtant pas loin et trouve la force en dépit de ses propres maux de faire une dernière chose pour elle : la confier à une vieille femme de la famille lointaine Zneikha, qui met alors un point d'honneur à la surveiller. Mais quand elle obtient enfin son diplôme universitaire, elle se rebiffe et la tension monte. Elle finit par éclater à la face de Zneikha et de son vieux mari, Sî el Arbi, prend ses livres et s'en va, sans un regard derrière elle... comme elle l'a toujours fait. Avant cela, elle avait fui un autre personnage qui l'avait profondément marquée, Aqila, sa maîtresse d'école qui perdit la raison en pleine salle de classe après des décennies à enseigner, et la petite fille d'antan s'en rappellera toujours. Nawwa fuira ainsi toute sa vie l'image de la folie et c'est un peu pour cela qu'elle ne supportait plus la présence de la vieille Zneikha dans sa vie. C'est alors que Nawwar, épris de Chopin et Schopenhauer, entre dans sa vie. Il n'y a que lui pour adoucir un peu sa solitude par le biais de longues conversations sur la littérature et d'incursions dans l'être et l'identité. Elle venait de perdre, encore une fois, son travail parce que son patron ne cessait de la harceler, comme tous les hommes qui la voient. Car elle est belle, les regards se tournent involontairement sur son chemin. Elle sait que Nawwar ne l'épousera jamais. Elle fuit encore, se jette dans l'inconnu et s'abandonne à la première belle voiture venue. Masochiste maladive ? Peut-être pas Au fil des pages, l'auteur nous entraîne dans des scènes successives où dominent la confusion et la souffrance... Nawwa se comporte comme si elle n'avait pas le choix. Dur fatum : tout lui tombe dessus sans crier gare, surtout le pire. Elle subit en masochiste maladive. Sur ses pas, le roman ressemble à une tragédie grecque mais sans le lyrisme, sans le défi des dieux, sans le symbolisme complexe... et avec du Destoïevsky le plus noir, le plus sordide, jalonné de faiblesses et de désespoir. L'auteur nous parle d'un naufrage incommensurable où nous assistons à une descente aux enfers. Un ouvrage à ne pas mettre entre les mains des plus sensibles, un roman poignant, écrit dans la confusion créée par de trop longues périodes littéraires à la manière d'André Gide, au détriment de la trame et de la clarté de l'histoire, qui se révèle en définitive banale en tous points, semblant n'être écrite que dans le but unique d'un exercice de style. Seulement, on sent que quelque chose ne tourne pas rond. Plusieurs fois après avoir refermé le roman, on se surprend à se demander ce que l'on en a retenu. On cherche, on cherche... Brusquement, comme dans un éclair, on finit par saisir l'intention de Wahida Mayy. Ce n'est pas sur les traces d'une masochiste maladive qu'elle nous entraîne mais derrière une jeune femme somme toute comme les autres et qui ne poursuit momentanément qu'un seul but : survivre ! L'ouvrage : ‘'Nawwa ‘', 138p., mouture arabe Par Wahida Mayy Editions Al Maha, 2016 Disponible à la Librairie al Kitab, Tunis.