Les femmes tunisiennes des zones rurales jouent un rôle vital dans le maintien de la sécurité alimentaire, mais continuent de souffrir de l'exploitation et de l'exclusion. Transport indécent, conditions de travail précaires et exploitation professionnelle. Marginalisées, elles sont les grandes oubliées de l'Etat tunisien. Depuis toujours. La Tunisie a récemment commémoré le drame de Sabbelat à Sidi Bouzid, lorsque douze ouvriers et ouvrières agricoles sont décédés dans un accident de la route en avril 2019. Si à l'époque, cet accident a eu l'effet d'un séisme médiatique et a choqué tous les Tunisiens compte tenu des conditions de transport de ces ouvriers et ouvrières, les choses n'ont pas trop changé et nous observons fréquemment de nouveaux accidents de ce genre. C'est dans ce contexte que plusieurs associations et organisations de la société civile tunisienne ont annoncé la création du Front pour l'égalité et les droits des femmes. Il s'agit notamment de l'Association tunisienne des femmes démocrates, l'Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, le Groupe Tawhida Ben Cheikh, l'Organisation contre la torture en Tunisie et la Coalition tunisienne contre la peine de mort. «La création de ce front est le fruit d'un atelier de réflexion stratégique portant sur l'impact de la crise politique, économique, sociale et environnementale en Tunisie sur les droits de la femme et leur quotidien. Les plus vulnérables, étant donné qu'elles font, continuellement, face à l'exclusion et à la marginalisation. De plus, les organisations et associations féministes font l'objet d'une diabolisation et d'une exclusion en raison de leur présence en premières lignes», a-t-on expliqué. On note également que le Front servira de «cadre d'action collective et d'initiative d'unification des efforts progressistes à tous les niveaux dans le but de faire évoluer et de préserver les droits des femmes, de les défendre et d'œuvrer pour la mise en place d'une société préservant l'Etat de droit, la dignité humaine, la liberté, la justice et l'égalité économique, sociale, culturelle et démocratique». Toujours selon ses initiateurs, ce front vise à améliorer de façon significative les conditions des femmes agricoles et à en finir avec la précarité des transports en milieu agricole. Ce genre d'initiatives promues par la société civile peut en effet aider à surmonter certaines conditions extrêmement dangereuses pour ces ouvrières, mais le rôle de l'Etat est irremplaçable. Inoubliable !... Il suffit de rappeler les faits de cet accident qui avait endeuillé tous les Tunisiens pour s'apercevoir de la gravité de la situation. «Voici ce qu'ils transportaient pour manger: du pain rassis et un poivron ! Ils sont sortis pour aller travailler à 3h du matin et maintenant ils sont morts. Une famille entière a trouvé la mort dans cet accident, quatre personnes ! Une femme a été écrasée par le camion, des têtes coupées, des corps démembrés ! J'ai dû ramasser des membres dans mon écharpe !», racontait un des nombreux témoins présents sur place ce jour-là. Retour sur les faits. Deux camions légers étaient entrés en collision, l'un d'eux transportait des ouvriers agricoles. L'accident était dû, selon la version officielle, à l'éclatement du pneu de l'un des deux véhicules qui a perdu son équilibre et a percuté le deuxième camion. Les blessés, nombreux, avaient été transportés aux hôpitaux de Sabbelat Ouled Asker et de Sidi Bouzid. Rappeler les faits, mais aussi faire le bilan depuis. Malheureusement, depuis ce drame, la situation n'a pas beaucoup changé, et les ouvrières agricoles sont toujours exposées à ces dangers. En Tunisie, les femmaes représentent 80% de la main-d'œuvre agricole. Exploitées, sous-payées, sans statut et des conditions de travail et de transport précaires, ces travailleuses de la terre sont les oubliées, les invisibles de la Tunisie, pourtant, sans elles le couffin du Tunisien sera vide. Les femmes tunisiennes des zones rurales jouent un rôle vital dans le maintien de la sécurité alimentaire, mais continuent de souffrir de l'exploitation et de l'exclusion. Transport indécent, conditions de travail précaires et exploitation professionnelle, marginalisées, elles sont les grandes oubliées de l'Etat tunisien depuis toujours. La situation du transport est tellement préoccupante que l'ancien ministre de l'Agriculture, Samir Taïeb, confirmait que «des transporteurs aspergent leurs camions d'eau pour que les ouvrières ne puissent pas s'asseoir et pour ainsi en transporter le maximum». Pourtant, le ministère du Transport et celui de la Femme ont convenu, il y a plus de deux ans, de coordonner avec les différents intervenants, à l'effet d'aboutir à la mise en place d'une convention-cadre visant à appliquer l'article 22 du décret n°724/2020 relatif à la détermination des conditions de l'exercice de l'activité du transport des ouvriers agricoles. Ledit article 22 permet aux personnes possédant des autorisations de transport public irrégulier d'exercer l'activité de transport des ouvriers agricoles dans le même véhicule exploité dans l'activité principale, à condition d'obtenir une approbation écrite d'une durée limitée auprès du gouverneur, après avoir présenté des informations sur la convention avec l'agriculteur ou une société agricole, pour transporter les ouvriers concernés. De quelle égalité parle-t-on ? Au fait, en Tunisie, on parle toujours d'une égalité homme-femme exemplaire au niveau régional et notamment dans le monde arabe. Sauf que sur le terrain et dans l'application des cadres légaux, la réalité est tout autre. Il suffit de rappeler que la femme tunisienne est toujours empêchée d'accéder à sa succession, pourtant elle est dans les premiers rangs des créateurs de richesses. Cela n'empêche qu'à l'université par exemple, 71% des étudiants en master et 67% des doctorants sont des femmes. Plus de 68% sont diplômés de l'enseignement supérieur (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), et elles représentent 55% des chercheurs. Les femmes tunisiennes occupent-elles pour autant la place qu'elles méritent dans les premiers rangs de l'administration publique ou dans le secteur privé ?