Députés et membres des conseils locaux se mobilisent pour la manifestation de soutien à Kaïs Saïed    MERCATO: Bon nombre de clubs sur Louay Trayi    CAB: Attention au relâchement !    COUPE DE TUNISIE — HUITIèMES DE FINALE: Les Bleus à l'épreuve de la Zliza    Mes humeurs: L'Ode à la joie    «Genèse sculpturale » de Hechmi Marzouk à la Galerie Saladin, du 18 mai au 23 juin 2024: Du bronze à l'émerveillement...    Avec deux nouvelles productions: Sofia Sadok, l'étoile du Festival de Jerasch    Intelligence artificielle: Des opportunités offertes pour le marketing digital    Découvrez le nouveau visage de l'élégance avec Résidence O'LIFE à El Ghazela, Ariana    Comment le projet gazier 'Tortue Ahmeyim' va redéfinir l'avenir économique de la Mauritanie et du Sénégal ?    CONDOLEANCES    ISIE: La date limite pour la tenue de la présidentielle ne devrait pas dépasser le 23 octobre 2024    La Kasbah-Ouverture de la première réunion du Comité de pilotage stratégique de haut niveau du portefeuille de projets sur l'administration et la bonne gouvernance: La Tunisie disposée à renforcer les domaines de coopération avec le Pnud    Classement des gouvernorats par nombre de lits dans les hôpitaux publics    En prévision de la saison estivale: Assainissement tous azimuts du littoral    Pourquoi: Savoir gérer…    Médicaments génériques et biosimilaires en Tunisie: A pas sûrs, mais lentement !    Tunisie: Vers un départ volontaire de 165 migrants béninois    IDE en Tunisie : attirer et fidéliser    Tribune: « Mare Nostrum en danger »    Des dizaines de morts dans le naufrage d'une embarcation transportant des migrants    Conflit économique : la Russie confisque les actifs de deux grandes banques allemandes    Quelle est l'orientation future du dollar?    Tunisie – Siliana : La pluie et la grêle occasionnent des dégâts dans les plantations    Tunisie – Sfax : Quatre cadavres de migrants repêchés    Tunisie – Les banques disposées à contribuer au financement d'initiatives éducatives    Affrontements entre milices armées à Ezzaouia en Libye    Tunisie – Arrestation de six takfiristes recherchés    Tunisie – METEO : Pluies orageuses sur le nord    Finale aller Ligue des champions africaine : match nul entre l'EST et Al Ahly    Violents affrontements dans la ville de Zawiya dans l'ouest libyen    Match EST vs Al Ahly : où regarder la finale aller de la ligue des champions samedi 18 mai ?    Henri d'Aragon, porte-parole de l'Ambassade de France en Tunisie: Allez l'Espérance !    Najla Abrougui : la présidentielle doit avoir lieu au plus tard le 23 octobre 2024    Des recherches lancées pour retrouver 23 migrants tunisiens disparus en mer    Tunisie Météo : pluies et hausse légère des températures    Dattes tunisiennes: 717,7 millions de dinars de recettes d'exportation à fin avril    Symposium international 'Comment va le monde? Penser la transition' à Beit al-Hikma    Rencontre avec les lauréats des prix Comar d'Or 2024    Hechmi Marzouk expose 'Genèse Sculpturale' à la galerie Saladin du 18 mai au 23 juin 2024    Ce samedi, l'accès aux sites, monuments et musées sera gratuit    Raoua Tlili brille aux championnats du monde paralympiques    Mokhtar Latiri: L'ingénieur et le photographe    La croissance n'est pas au rendez-vous    Palestine : la Tunisie s'oppose aux frontières de 1967 et à la solution à deux Etats    76e anniversaire de la Nakba : La Tunisie célèbre la résistance du peuple palestinien    Nakba 1948, Nakba 2024 : Amnesty International dénonce la répétition de l'histoire    Urgent : Une secousse sismique secoue le sud-ouest de la Tunisie    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Et si on parlait réforme linguistique...
L'écritoire philosophique
Publié dans La Presse de Tunisie le 10 - 06 - 2016


Par Raouf SEDDIK
Les parlers régionaux respirent la terre. Ce sont les patois. On dit «patois» pour insister sur leur originalité, leur résistance à une langue officielle et dominante. Et «dialecte» pour marquer davantage l'idée de diversité à l'intérieur d'un même ensemble linguistique. Le Tunisien, par exemple, est un dialecte arabe quand on le situe dans la vaste carte des pays arabophones, mais on peut aussi y voir un patois dans la mesure où, par sa façon d'être parlé, il exprime l'enracinement dans une terre. En tant que tel, il a en particulier son propre «accent», qui est justement la musique de sa terre... Et en tant que, tel il peut également être perçu comme un parler ou un idiome qui s'affirme face à des langues venues d'autres terres, et qui prétendraient jouer un rôle du point de vue de l'identité linguistique du pays.
On voit donc que la notion de patois est relative. Car, pour prolonger l'exemple évoqué, nous savons qu'à l'intérieur même de la Tunisie, il y a différents patois, qui perdurent malgré une politique d'uniformisation linguistique dont l'école et la télévision ont été les principaux vecteurs. Vus de loin, on pourrait leur attribuer des frontières séparant de larges zones territoriales. Le connaisseur distinguerait des différences lexicales et d'intonation, des prononciations particulières. Or, à l'intérieur de ces mêmes zones, il est encore possible de distinguer des nuances encore plus fines... D'un village à un autre, d'un versant de montagne à un autre, certaines nuances se laissent débusquer par une oreille plus attentive.
A l'image de ce qui a été fait dans de nombreux pays par souci d'homogénéisation de la population et de modernisation du pays, on a assisté en Tunisie, après l'indépendance, à une politique d'uniformisation linguistique, qui passait aussi par une certaine dévalorisation des parlers régionaux, caricaturés dans les médias sous la forme de parlers primitifs, frustes, grossiers. Ce qu'on appelle la «derja» (langue courante ou commune) est le produit de cette politique d'uniformisation, à partir du parler tunisois, dans la mesure où ce parler a été celui d'une élite intellectuelle et d'une culture des familles bourgeoises de la capitale et de ses environs.
Le problème de la derja est qu'elle va être très rapidement concurrencée par un arabe plus oriental ainsi que par la langue française. Face au poids de l'héritage de ces deux langues, elle va avoir du mal à s'affirmer et à imposer son propre territoire. Dans l'administration, au lieu de la derja, on va recourir à un bilinguisme arabo-français. Dans l'école et dans l'université, ce vide laissé par la dimension locale de la langue va donner lieu, non pas à une conjonction ou une juxtaposition des deux langues, mais plutôt à une guerre des langues. Arabisants et francisants vont se vouer parfois une haine féroce, une haine qui va s'assouvir en allant puiser dans le registre de polémiques anciennes et qui dépassent largement le cadre de nos frontières : à travers cette guerre des langues, ce sont des systèmes de pensée qui s'affrontent dans un combat de survie.
Cantonnée dans la sphère de l'oralité et du domestique, la derja va remplir une fonction sociale de communication au quotidien et d'affirmation identitaire, mais toujours avec cette charge plus ou moins accentuée de mépris en direction des parlers régionaux. Elle échoue à donner lieu à une littérature. La chanson arrive à la rescousse mais ne donne des sonorités puissantes que lorsqu'elle renonce à tourner le dos aux mélodies de nos patois. Le théâtre lui ouvre des portes, mais il ne s'y produit aucun miracle. A part cela, elle reste à l'écart des activités scientifiques et, enfin, de la poésie et de la philosophie...
Peu de gens font le constat d'un désastre aussi démoralisant. On préfère passer sans voir. La derja aurait pu donner lieu à une langue comme l'a fait le français, qui est à l'origine le parler de la région parisienne (Île de France), ou l'espagnol, dont l'ancêtre est le castillan. Elle aurait pu, à la faveur d'un pouvoir d'assimilation, se dresser face aux langues existantes en incorporant ce dont elle a besoin pour le ressortir hardiment estampillé du cachet de son génie et de son ambition de dire le monde — et au monde — en parlant à partir de son sol. Au lieu de cela, elle se replie sur le terrain du coutumier, dont elle devient comme le parc protégé ou le musée. Mais, même là, elle subit les intrusions dominatrices du français et de l'arabe «littéral», ou international, et maintenant de l'anglais aussi. De sorte que, défenseur prétendue de l'identité, elle n'en défend plus qu'une version complètement abâtardie : le poussiéreux de nos vieilloteries de langage s'y mêle au fatras de nos emprunts les plus anarchiques, qui signent un état de viol permanent.
On ne sait si les initiateurs du projet avaient conscience de la difficulté de la tâche. Car, à la différence du français et de l'espagnol, la langue tunisienne, dans sa version derja et «tunisoise», avait à relever trois défis. Premier défi : réaliser en son sein la synthèse de deux langues issues de familles totalement différentes, l'une sémite, l'autre «indo-européenne» comme disent les spécialistes et, en tout cas, latine.
Deuxième défi : affirmer sa propre modernité face à une langue, le français, dont la modernité est une vocation outrancière, au point que, selon Rousseau, elle en a perdu tout sens de la prosodie, tout lien avec la terre. On peut chanter en français, mais le français ne chante pas. C'est une langue qui parle le scalpel à la main.
Troisième défi : marquer sa différence par rapport à une langue, l'arabe, qui a mis tout le poids du religieux au service de sa prééminence, de sa domination hégémonique sur des terres dont elle n'est pourtant pas issue. Les prétentions de la «francophonie» à prendre racine lui servent d'ailleurs de prétexte pour rappeler toute l'étendue de sa jalouse prépondérance.
Ce triple défi signifie que la construction d'une langue tunisienne — dont la derja n'est donc qu'un projet inabouti et plutôt avorté — est une entreprise à recommencer sur de nouvelles bases. Des bases plus ambitieuses, qui se donnent l'assise d'une terre plus large à travers un amour retrouvé de ses intonations régionales. Mais qui se donne aussi une implantation plus profonde dans le passé lointain, très lointain, afin de créer en son sein l'espace vaste où se marient de façon heureuse et prodigieuse les différences les plus éloignées... Nous n'aurons pas de grande poésie en dehors de ce projet et seule sera grande, dès maintenant, la poésie qui appelle à ce projet, qui fait chanter les prémices de cette langue à venir.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.