«Aucune allégation santé n'est mentionnée sur des centaines de produits et compléments qui sont pourtant vendus avec allégation tels que les produits d'une célèbre marque américaine à base d'aloe vera», selon Sonia Fekih, une spécialiste de l'analyse des aliments et compléments alimentaires. Ces dernières années, plusieurs produits et compléments alimentaires se sont imposés sur le marché informel en s'appuyant sur le marketing de réseau, dit «MLM», et la vente multi-niveau. Ainsi on ne compte plus le nombre des Tunisiens qui ont adhéré à ce business fort lucratif où les distributeurs vantent jour et nuit les bienfaits de leurs produits à base de plantes magiques et anti-oxydantes telles que l'aloès (aloe vera). En apparence, ces produits circulent en toute légalité grâce à une autorisation de mise sur le marché (AMC), comme c'est le cas pour la représentation d'une entreprise texane dont l'autorisation lui a été délivrée, en 2012, par le ministère de la santé publique (MSP). En effet, sur le plan technique, pour les compléments alimentaires, l'octroi d'une AMC par le ministère de la santé publique est, généralement, régi par une procédure de contrôle technique à l'importation disponible sur le site Internet de la Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM). «Aucune analyse de composition n'est faite» Or, techniquement, ces analyses ne concernent que «la stabilité microbiologique» et physico-chimique» du produit au terme de sa date de consommation, selon Mme Sonia Fekih, spécialiste de l'analyse des aliments et compléments alimentaires. Donc à en croire les dires de l'experte, par les analyses de conformité basiques réalisées par les laboratoires de l'Institut de nutrition (Innta) et le Laboratoire de contrôle des médicaments (Lncm), le ministère de la Santé publique garantit au consommateur que le produit est stable. Par contre, «aucune analyse de composition n'est faite. A noter que la certification des produits et matières premières permet de se passer de ces analyses de contrôles de composition. Le producteur ou l'importateur présente un dossier technique comportant la composition des produits, une AMC est délivrée sur la foi de ce dossier et sur la foi des tests de "conformité" délivrés par les laboratoires», précise la spécialiste. Pour ce qui est du cadre juridique et «en l'absence d'un texte de loi» spécifique aux compléments alimentaires, «ces derniers sont assimilés aux aliments préemballés régis par un texte de loi ciblant l'étiquetage des aliments à «allégation santé» ou «nutrition» : c'est l'arrêté du 3 septembre 2008, relatif à l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires préemballées qui englobe les allégations relatives à la nutrition (Art. 65 à 70), les allégations relatives à la santé (Art. 71 à 77) et les allégations concernant les guides diététiques ou de régime équilibré (Art. 78). «Cet arrêté ne concerne que les exigences d'étiquetage qui engagent la responsabilité du fournisseur. Il concerne "toute substance traitée, partiellement traitée ou brute, destinée à l'alimentation humaine et ce terme englobe entre autres les boissons". Et pour ce qui est de l'allégation Bio, cette dernière est aussi régie par une panoplie de textes qui exigent la certification sur l'origine des matières premières», fait savoir le chercheur. Un flou juridique qui profite aux distributeurs En lisant tous ces articles, on réalise qu'«aucune allégation santé n'est mentionnée sur des centaines de produits et compléments qui sont pourtant vendus avec allégation tels que les produits d'une célèbre marque américaine à base d'aloe vera, dont je ne citerai pas le nom, mais très connue en Tunisie», selon la scientifique. De ce fait, «en cas de problème de santé, aucune responsabilité juridique n'est imputable. Dès lors, c'est à l'Etat de prévoir les garde-fous juridiques, et c'est aux associations de défense du consommateur d'informer le public. Si ces deux régulateurs sont largement présents dans les pays développés, force est de constater que nous restons vulnérables face aux risques de publicité abusive et réseaux de vente directe», souligne Sonia Fekih. Il reste à signaler qu'en lisant attentivement la liste des ingrédients de certains compléments alimentaires (boissons) à base de pulpe d'aloe vera, on remarque la présence de plusieurs additifs alimentaires tels que le benzoate de sodium (E211), qui, selon plusieurs recherches scientifiques, serait cancérogène. «L'absorption régulière de benzoate de sodium (E211), que l'on retrouve notamment dans de nombreux sodas mais aussi dans des sauces, peut mener à des cirrhoses du foie (un type de cancer-Ndlr), voire à la maladie de Parkinson», révèle une étude universitaire britannique menée par le professeur Peter Piper, de l'université de Sheffield et publiée sur le site du quotidien généraliste anglais The Independent. Or si on suit les conseils des distributeurs de ces compléments alimentaires, on réalise que la fréquence de consommation de ces boissons à base d'aloe vera oscille entre 1 et 3 fois par jour. Donc, on est pile-poil dans une dynamique d'une consommation régulière. Néanmoins, le consommateur reste particulièrement sensible aux arguments de marketing qui mettent en relief les effets dits «bénéfiques» et «naturels» ou «bio» de ces produits, comme c'est le cas pour la pulpe de la plante miraculeuse, l'aloe vera. Le mensonge des produits dits «naturels» «A ce propos, des milliers d'articles scientifiques attestent des effets antioxydants et draineurs de la plante en question. Peut-on conclure pour autant qu'elle peut pratiquement tout prévenir, des affections métaboliques chroniques aux simples produits cosmétiques et à quelles doses, pour quelles personnes (hommes/femmes/enfants) ? Quels sont les seuils de toxicité et les apports journaliers recommandés ? Ces derniers doivent être mentionnés selon le texte de loi cité. Il faut savoir que tout est toxique à fortes doses et que la nature a horreur du déséquilibre», s'interroge Sonia Fekih. Rappelons que dans ces produits, dits «naturels», les distributeurs ont la fâcheuse habitude de mettre en exergue le «Made in USA» pour vanter la qualité de leurs compléments alimentaires qui n'ont rien à voir avec les produits de la phytothérapie. D'ailleurs, «les mentions «naturel» apposées sur des produits qui ne le sont pas passent cependant à travers les fourches caudines de l'agence américaine des médicaments et de l'alimentation (FDA, Food and Drug Administration), car cette dernière n'a pas vraiment défini cette notion (...). La FDA, chargée de l'application des lois fédérales en matière d'étiquetage alimentaire, a certes envoyé plusieurs lettres d'avertissement aux entreprises par le passé», lit-on dans un article de Kerry Sheridan, intitulé «Aux Etats-Unis, les aliments «naturels» sont tout sauf naturels». «La FDA considère que la mention ‘'naturel'' désigne les aliments dans lesquels aucun ingrédient artificiel ou synthétique (y compris les colorants) n'a été incorporé ou ajouté», rappelle une porte-parole de la FDA, Theresa Eisenman. Ce qui n'est pas le cas pour les compléments alimentaires circulant sur notre territoire où les additifs alimentaires et les ingrédients artificiels sont assez manifestes. «Et qui nous garantit qu'en consommant un bidon de cet élixir (pulpe d'aloe vera), fortement concentré, cela n'entraîne pas des effets secondaires, voire difficilement cernables, surtout en l'absence d'allégation santé? Ceci est vrai pour n'importe quel produit, même s'il n'y a aucun additif chimique et que la conservation n'est pas dans un plastique alimentaire», conclut Sonia Fekih.