«Le verset en question de sourate «Enissa», les Femmes, est sans équivoque et ne se prête aucunement à d'autres interprétations que celle connue et authentifiée, jamais amendée par qui que ce soit, même pas par Bourguiba», a fait valoir le mufti de la République S'il y a un terrain miné où le droit positif et le droit musulman pourraient s'affronter sans ménagement, ce sera bien celui des lois de l'héritage. Hier, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi 22/2016 portant sur les quotes-parts successorales, c'est au tour du mufti de la République d'être écouté par la commission permanente de la santé et des affaires sociales, présidée par Mbarka Ouania du Front populaire. Quelle que soit la position du mufti, c'est important de la connaître. Et sa position est venue conforme à sa fonction de chef de la plus grande institution nationale religieuse. C'est-à-dire, une fin de non recevoir de cette proposition « inattendue » qui préconise l'égalité dans l'héritage entre les hommes et les femmes. Chose prévisible. Ce qui l'est moins, c'est la faiblesse de l'exposé de la plus haute autorité religieuse de l'Etat. Ohtman Batikh, visiblement mal préparé, sans un staff pour l'épauler, a dû affronter seul une salle sur le qui-vive et des raisonnements qui peuvent paraître solides et cohérents avec pour référent non pas la religion et la charia mais la Constitution. Le grand conseiller religieux de la République s'est limité à ressasser des développements connus de tous et quelque part dépassés, selon lesquels l'homme en sa qualité de chef de famille, est appelé, par ordonnances religieuses, à prendre en charge son épouse et sa sœur, si elle ne se marie pas, et ses enfants, et par voie de conséquence, sa part devra être supérieure à celle de la femme qui reçoit, elle, son héritage en cadeau. Comprenez en surplus ! En deçà des attentes Résultat, même ceux acquis à sa cause se sont retournés contre le Sheikh Batikh par des interpellations du style :« vous ne parlez pas de la Tunisie alors. Parce qu'en Tunisie la femme produit des biens et partage les frais avec son partenaire à parts égales et même parfois davantage». Toutefois, et par respect à sa position, le mufti de la République a été délicatement ménagé. La déception était cependant perceptible, visible sur les visages. Le verset en question de sourate «Enissa», les Femmes, est sans équivoque et ne se prête aucunement à d'autres interprétations que celle connue et authentifiée, jamais amendée par qui-que-ce soit, même pas par Bourguiba, fait-il valoir. L'ouléma s'est adressé à l'auteur de la loi, Mehdi Ben Gharbia, pour l'appeler à la raison : «vous allez offrir une arme supplémentaire aux dawaches et les monter contre nous en cette période instable. Dans le monde musulman nous serons montrés du doigt, comme quoi la Tunisie désobéit aux préceptes du Coran. Ce texte ne passera pas de toutes façons, les députés dans leur majorité se sont exprimés contre». Finit-il par dire presque confiant. Suite à quoi, la présidente de la commission a dû intervenir pour préciser «Samahet el Mufti, nous n'en savons rien, cette loi pourrait être examinée en séance plénière...». Les avis ne sont pas tranchés Dans une séance qui s'est étirée dans le temps, c'est au tour de la ministre de la Femme et de la Famille, Samira Maraii, d'être auditionnée. Tout en défendant sa position, ses convictions et son rôle de défenseur invétérée des droits des femmes, elle s'est prononcée contre le texte de loi. Son référent n'est pas tant religieux que sociétal. Le membre de l'exécutif a mis en avant la sensibilité de la question, la nécessité d'engager un débat national pour sonder l'avis de l'opinion publique. La ministre, ex-constituante, a-t-elle pris soin de le rappeler, a mis en avant le fondement consensuel de la Constitution adoptée par 200 voix sur 217, et qu'en l'état actuel des choses « ces réformes semblent comme parachutées et tout à fait inappropriées», a-t-elle ouvertement critiqué, en rappelant qu'il y a toujours ce mécanisme adopté par un grand nombre de parents, la donation du vivant. Autour de la grande table de la commission, les avis ne sont pas tranchés. Sauf pour quelques-uns à l'instar de Rim Ehtairi, du Courant El Mahaba. L'élue s'est positionnée contre l'examen du texte de loi, et précise à ce propos qu'elle assistera au débat sans y prendre part, étant opposée contre le principe même de sa recevabilité par le bureau de l'Assemblée. D'évidence, ces amendements portant sur les lois de l'héritage placent les députés face à un grand dilemme. Un groupe parlementaire, peut-être majoritaire, qui croit dur comme fer aux principes de justice et d'égalité, ne veut pas, mais alors pas du tout, transgresser une loi divine. Pourtant, à la question de La Presse sur d'éventuelles instructions de son parti, Houssine El Jaziri reconnaît en aparté que celles-ci seraient plutôt conciliantes, «s'il y a des accommodements à faire avec les dispositions du Code du statut personnel, pourquoi pas, nous étudions la question». Est-ce le signe qui ne trompe pas d'une réelle conversion du parti Ennahdha ? Personne ne le sait à l'heure qu'il est.