Par M'hamed JAIBI Instaurée par la première Assemblée constituante, un an à peine après l'indépendance du pays, dans l'esprit de mieux éduquer, nourrir, développer et moderniser, notre République s'est longtemps plus souciée de faire régner la loi des institutions que la plénitude des fonctionnements démocratiques. L'avènement de la transition démocratique succédant à l'insurrection populaire ayant abouti, le 14 janvier 2011, au renversement du président Ben Ali, vient réhabiliter la démocratie comme arbitre et référent du principe de souveraineté populaire sur lequel s'adosse la République. Démocratie et République, démocratie ou République... ? «Démocratie et République» ou «démocratie ou République»? Quoi placer en premier ? Laquelle doit primer ? Est-ce une «querelle de mots» ou un quiproquo quant aux principes et significations ? Aux Etats-Unis d'Amérique, on les oppose, en faisant les rivaux d'un bipartisme qui règne en maître sur la vie politique, en France, on les confond souvent et les met en concurrence; en Tunisie, on ne fait que découvrir leurs contraintes relatives, leurs chevauchements, leurs insuffisances et l'exigence de leur redéfinition. En fait, ces vocables que les cheminements historiques franco-latin et anglo-saxon ont dissociés se recoupent souvent, malgré des étymologies fort distinctes. La République s'opposant à la royauté et la démocratie à la dictature, avec son riche éventail de nuances et de déclinaisons. Républicains non démocrates ? On estime souvent, en Tunisie, que le cheminement républicain a historiquement prévalu sur l'exigence démocratique, laquelle n'a été respectée que dans la forme. Mais il se trouve que par d'autres aspects, le fonctionnement républicain n'a pas toujours été au rendez-vous. L'introduction de la présidence à vie en avait été le témoin le plus flagrant.. Souvent, lorsque l'on dévie par rapport aux attitudes démocratiques, on s'empresse de se déclarer républicain. Et vice-versa, Royaume-Uni, Espagne, Belgique et autres monarchies constitutionnelles témoignent que l'on peut être ou se dire démocrate sans être républicain. La «mauvaise graisse» autoritaire La révolution a ainsi amené la Tunisie à mettre bien plus de démocratie dans sa République vieille de 59 ans, lui ôtant la «mauvaise graisse» autoritaire et verticale léguée par le parti unique et le pouvoir personnel présidentialiste. Certains, adeptes de la «rupture totale avec le passé», estiment que notre République ne sera pas plus démocratique en devenant moins républicaine, mais en séparant les deux concepts sans confusions et en les menant jusqu'au bout de leur signification propre. Sachant qu'opposer la démocratie à la République risquerait de tuer la République. Or, n'est-ce pas ce que l'on constate comme cheminement depuis cinq ans ? Un mouvement qui réduit la République à la démocratie Ce que l'on constate depuis 2011, c'est un puissant mouvement réduisant la République à la démocratie, à la volonté souvent anarchique et immédiate des «masses» et des minorités agissantes. Un irrésistible mouvement dont l'aboutissement risque d'être, à terme, l'anéantissement de la «chose publique». Mais la démocratie représente un garant fondamental de la souveraineté populaire, de sorte que tout mouvement visant à la contenir concourrait à rétablir le règne de l'autorité, voire de la contrainte. L'exercice démocratique doit donc, en sa qualité d'expression de la volonté populaire, obéir aux exigences des institutions républicaines, lesquelles sont l'émanation de la Constitution et des législations. Et, en aucune manière, le mouvement de pendule harmonisant l'exercice des libertés démocratiques d'avec le respect des exigences républicaines ne doit dévier de son équilibre. Afin que la démocratie ne déprave jamais la République ni que la République n'enchaîne l'exercice démocratique. Une République démocratique efficace Ce à quoi nous assistons actuellement, et depuis cinq ans, c'est à une formidable démocratisation de la République. Nos dirigeants sont élus, notre Constitution est choisie par nos élus, de même que nos lois. Notre presse et notre justice échappent au contrôle du pouvoir exécutif. Nos syndicats sont libres. Nos citoyens s'expriment, protestent, organisent sit-in et manifestations. Nos députés critiquent, exigent, débattent de tout et prennent tout leur temps. Mais l'efficacité en a pris un coup. La Tunisie a vivement besoin de se convaincre de la supériorité du système démocratique, des apports de la République démocratique, une République réhabilitée dotée d'une démocratie crédible et efficace. Qui sache contrôler les élus, assurer la propreté des villes, éradiquer la corruption et rétablir l'autorité de l'Etat.