Les statistiques se sont affolées au même rythme que le mercure qui grimpe. Au point de soutenir qu'aucune plage n'a été épargnée par les drames en cette saison estivale qui n'en est qu'à ses débuts. On s'évertue à jeter les responsabilités sur les autorités des lieux et sur le personnel censé être là pour «sauver» les... candidats à la noyade. C'est que dans ce drame il n'y a jamais un seul responsable ! Pour échapper à la chaleur, tous les moyens sont bons : la mer, une rivière, un ruisseau, une mare, une flaque d'eau, un puits; là où il y a de l'eau, il y a le soulagement et le réconfort. Restent bien entendu les risques et ils sont égaux aux insuffisances de précautions que l'on oublie de prendre. Il va de soi que pour le commun des mortels, il y a une différence entre savoir nager et ne pas réussir à flotter lorsqu'on est dans l'élément liquide. Aux confins de Nejd, dans ce qui allait devenir l'Arabie Saoudite, Omar Ibn El Khattab avait adressé voilà plus de 1.400 ans aux parents la célèbre recommandation que tout le monde connaît : «Apprenez à vos enfants l'équitation, le tir à l'arc et... la natation». C'est dire ce que cette activité revêt comme importance dans la vie de l'être humain. Bien entendu, pour ceux qui sont loin de la mer, les alternatives sont possibles, mais pour ceux qui ne le sont pas, il reste les précautions à prendre pour éviter les drames. Encadrement et formation Commençons par rappeler ces bonnes habitudes que nous avons perdues. C'est la Protection civile et la Fédération Tunisienne de natation qui s'occupaient de former des maîtres-nageurs sauveteurs. Dans tous les chefs-lieux de gouvernorats ouverts sur la mer, des stages étaient organisés et tous les ans, deux ou trois mois avant l'été et les grandes chaleurs, de très nombreux jeunes sont initiés au sauvetage. Ils venaient grossir les rangs de ceux qui étaient déjà formés et qui avaient désormais une bonne expérience. Dans toutes les plages, des champs d'eau étaient réservés à des cours de sauvetage que les spécialistes prodiguaient au public. Il suffisait de savoir nager pour y participer gratuitement. Feu Mustapha Mizouni était le principal animateur de ces stages et, sans se soucier de la fatigue ni des distances, son fidèle mannequin sous le bras, ses flotteurs, son attirail spécialisé en bandoulière, il parcourait les villes côtières pour former, encadrer, recycler et renforcer ce corps des sauveteurs qu'il s'est fait un point d'honneur de préserver. Ce pionnier n'a jamais été remplacé (du moins au niveau de la conviction et de l'attachement) et cela prouve le désintéressement des autorités compétentes. De grands champions ont été du nombre de ces maîtres-nageurs sauveteurs qui ont fait un travail remarquable. Beaucoup d'entre eux en ont fait leur vocation. Ils avaient été sérieusement motivés pour faire œuvre utile et pour encadrer les jeunes recrues. Tradition perdue Cette tradition semble avoir été délaissée pour des raisons que nous ignorons. Dans l'état actuel des choses, comment sont formés les actuels maîtres-nageurs ? Où ? Par qui ? Quelles sont leurs capacités de réaction devant le danger ? Personne n'en sait rien. De toutes les manières il n'y a pas trace de communiqués ou de stages pour formation et perfectionnement de ce corps qui semble avoir perdu de sa densité. Un maître-nageur sauveteur est un métier. Il faut de la formation, du recyclage, des entraînements réguliers et, bien sûr, une solide conviction que seul l'attachement à un corps de métier procure. De jeunes recrutés pour la saison estivale n'en font qu'un moyen de gagner de l'argent de poche. En conséquence, on perd des vies humaines ! Les piscines et les champs d'eau qui étaient réservés à ces activités sont devenus des lieux de loisirs et d'amusement. La formation de ceux qui ont, durant de longues années, sauvé bien des vies humaines n'est plus là. Sans pour autant douter ou remettre en question les capacités de ceux qui sont responsables de ce secteur, on se demande si la formation est étalée tout au long de l'année, s'ils s'entraînent régulièrement, s'ils se recyclent, s'ils sont assez nombreux et dans le respect des zones et étendues de plage qu'on leur confie, s'ils disposent des moyens pour intervenir à temps et là où on en a besoin. Là où ce métier est respecté, ne peut être maître nageur-sauveteur dans un hôtel ou ailleurs que celui qui dispose d'un diplôme d'Etat. Le recyclage et la mise à niveau sont obligatoires, faute de quoi, la reconduction du contrat est interdite. Les assurances veillent et les municipalités prennent garde à ce point de la réglementation en vigueur. Il n'y a qu'à faire le choix dans la réponse. Reprendre la stratégie de la formation Toujours est-il que les drames de ce début de saison doivent donner à réfléchir aux autorités compétentes. Le corps des maîtres-nageurs sauveteurs ne doit en aucun cas être considéré comme un ensemble d'individus auxquels on fait appel seulement en été. Il doit être formé de personnes disponibles pour s'entraîner tout le reste de l'année, répéter à satiété les gestes qui sauvent, participer tout au long de l'année à des stages de recyclage et de mise à niveau que l'on se doit d'organiser au sein des villes côtières, des scouts, des associations sportives, en un mot tous les corps constitués ont besoin de ce genre de formation. Fonctionnaires intégrés, ils sont attachés à des services annexes, mais sont autorisés à participer régulièrement aux séances techniques. Les piscines ne manquent pas. En attendant et loin de toute polémique stérile, il faudrait plancher sur un programme de réorganisation stratégique pour préparer l'avenir et mettre fin à cette succession de drames. La collaboration étroite entre les villes est importante ne serait-ce que pour acquérir du matériel coûteux (embarcation rapide et médicalisée, hors bord, jet-ski, etc.) qu'elles sont en mesure d'utiliser en commun. Toute une stratégie est à mettre au point. Ne pas s'y conformer serait un aveu de faiblesse et un désintéressement total du devenir de la vie humaine.