Par Abdelhamid Gmati Un père de famille a été arrêté, il y a deux jours, par la police à Sfax. Ce père de 5 enfants, âgés de moins de 14 ans, obligeait les enfants à aller mendier tous les jours de 6h à 19h. L'homme, en bonne santé, pouvait travailler mais il vit de la mendicité depuis plusieurs années. Lors de son arrestation, on découvrit qu'il cachait près de 30 000 dinars chez lui et qu'il louait son logement 120 dinars par mois. Il a été condamné à un an de prison avec possibilité de faire appel. La semaine dernière, deux parents étaient arrêtés parce qu'ils contraignaient, eux aussi, leurs deux enfants de 5 et 11 ans à aller mendier. Les enfants ont été confiés à la direction régionale de la protection de l'enfance. On assiste de plus en plus, et en particulier depuis 2011, à ce phénomène de la mendicité des enfants ; des enfants déscolarisés qu'on retrouve dans la rue en vendeurs de pain, de fleurs, de jasmin, de chewing-gum ou carrément demandant de l'argent. Qui est responsable ? On implique, en premier, les parents. Le délégué général à la protection de l'enfance, Mehiar Hamadi, explique : « 60% des cas d'instrumentalisation des enfants pour le commerce parallèle ou la mendicité proviennent de la famille. À chaque fois, on signale à la police ces abus, des mesures sont prises puis rebelote. Actuellement, les coupables écopent d'une amende, d'une peine de prison avec sursis, rien de plus dissuasif ». Et il recommande une plus grande fermeté de l'Etat dans l'application de la loi. De leur côté, les forces de sécurité rapportent que des gangs organisés forçaient les enfants de la rue à servir de voleurs, de mendiants ou encore à transporter de la drogue. Il est évident que l'enfance est en danger. Les menaces à l'égard des enfants sont passées de 6.069 en 2014 à 8.722 en 2015, soit une augmentation de plus de 2.000 cas, le taux le plus élevé depuis 2009. Ce sont les chiffres alarmants présentés, récemment, par le ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance. Et selon une étude du ministère du Développement et de la Coopération internationale, en collaboration avec l'Unicef, sur les violences exercées sur les enfants en Tunisie, 93% des enfants tunisiens, âgés entre 2 et 14 ans, ont été au moins une fois victimes de violence. Il est révélé que 43% des parents estiment que les punitions attribuées aux enfants doivent être physiques ». Le rapport du ministère signale que les délégués de l'enfance se sont penchés sur 4.544 situations de violence en 2015 qui sont d'ordre physique, psychologique et sexuel avec un taux de 49% de filles. 76% de ces dernières ont fait une tentative de suicide sur un ensemble de 184 signalements aux délégués à la protection de l'enfance en 2015. D'autres enfants sombrent quant à eux dans la criminalité. Méhiar Hamadi avance qu'environ 10 mille enfants sont délinquants ou ont des problèmes légaux. Seuls 515 cas de réinsertion sociale ont été effectués sous l'égide des délégués à l'enfance. Et le harcèlement sexuel, le viol, l'inceste... touchent aussi les garçons. Selon Sami Othman, pédopsychiatre, « la violence sexuelle touche autant les filles que les garçons, même si on est plus dans le déni quand il s'agit des garçons. Les familles ont peur d'évoquer le sujet, surtout lorsqu'il s'agit d'inceste. Pour d'autres, des années passent avant que le garçon, lui-même, ose évoquer le sujet ou surpasser ce qu'il cache. Fille ou garçon, les conséquences sont les mêmes et toujours néfastes: dépression, tentative de suicide, marginalisation, échec scolaire... ». L'Observatoire social tunisien rapporte que « 69 cas de suicide ont été recensés en Tunisie rien que pour le mois de juin 2016, dont 3 ont concerné des enfants de moins de 15 ans ». Le président de l'Association tunisienne de défense des droits de l'enfant (Atdde), Moez Chérif, estime que « la principale cause du suicide est la violence familiale. Il y a ensuite la violence dans le milieu scolaire puis dans l'environnement général ». Et il y a, aussi, la situation économique dégradée de certains enfants: « Certains parcourent 5 à 11 km par jour pour arriver à leur école. Il n'y a aucun moyen de loisirs, aucun activité culturelle, les maisons des jeunes sont désertées, aucun signe de vie. Comment vouloir faire barrage à la culture de la mort, après tout ça ?». Pour Fatma Charfi, pédopsychiatre à l'hôpital Mongi-Slim et coordinatrice du programme national de lutte contre le suicide, «ce sont les médias et leur regard « simpliste » sur le suicide ; la médiatisation excessive des cas de suicide contribue à l'amplification de nombre de passages à l'acte. On a constaté dans notre service qu'à chaque fois que des médias en parlent, on voit arriver le lendemain des mineurs qui ont fait une tentative de suicide, c'est systématique. Elle cite également d'autres supports comme Facebook, les feuilletons télévisés, les films... Un jour, une fille qui a regardé la célèbre série « Harim Soltane » où il y avait une scène de suicide, a été internée dans notre service suite à une tentative de suicide. Le problème c'est que certains ne souffrent d'aucune maladie mentale. C'est juste la volonté de s'identifier, d'imiter ce qu'ils voyaient, surtout lorsqu'ils partageaient la même souffrance avec la personne dont on parlait ». Tel est le constat. Des solutions ont été proposées aussi bien de la part d'organisations internationales, comme l'Unicef, que de la part des services spécialisés tunisiens. Qu'attend-on pour les mettre en œuvre ?