Créée depuis mars 2013 et fonctionnelle depuis une année, l'Instance générale de suivi des programmes publics peine à démarrer réellement son activité «Trop de cuisiniers gâchent la cuisine», dit le proverbe. Et l'Igspp (Instance générale de suivi des programmes publics) risque d'être ce cuisinier ou plutôt cet organisme de plus dont la tâche n'est ni assez précise ni assez différente des autres organismes chargés de contrôler l'appareil exécutif dans le sens large du terme. D'où le risque de s'emmeler les pinceaux. Comme son nom l'indique, l'Igspp a, principalement, pour missions de contribuer à l'élaboration des programmes publics en collaboration avec les organismes concernés chargés de la planification, la programmation et la conception des contrats-objectifs et des contrats-programmes au niveau central, régional et local; suivre l'exécution des programmes publics en coordination avec les parties concernées et en s'appuyant sur les indicateurs de performance et les mécanismes de suivi retenus; collecter les données relatives aux programmes publics et les analyser en s'appuyant sur une base de données spécifiques et réaliser des recherches et des études en matière de mise en place des programmes et des politiques publiques et les évaluer conformément aux standards internationaux. Or l'Igspp n'est pas la seule à qui on a confié de telles missions. Le système tunisien de contrôle et d'évaluation est même très compliqué et complexe. Au niveau de l'appareil exécutif, l'Igspp partage certaines de ses compétences avec Cgsp (Contrôle général des services publics), relevant lui aussi de la présidence du gouvernement. Le Cgsp est un organe de contrôle supérieur, ayant une compétence horizontale, habilité à contrôler les services de l'administration publique lato sensu, y compris les organismes recevant directement ou indirectement des participations ou des contributions publiques. Le Cgsp développe également des missions d'évaluation des politiques publiques et des performances des organismes publics. Selon le décret n° 2013-3232 du 12 août 2013, portant organisation du corps de contrôle général des services publics, le Cgsp procède à l'évaluation des programmes nationaux et des politiques publiques dans le cadre de l'évaluation participative; il est chargé de l'évaluation des projets et programmes financés dans le cadre de la coopération externe, et comprend une section d'évaluation et une section d'audit et d'évaluation des projets financés par les institutions de financement extérieures et une section des enquêtes, des consultations et des missions spéciales. Au niveau de l'exécutif, nous trouvons, également, le CGF (Contrôle général des finances) est chargé d'effectuer, sous l'autorité du ministre des Finances, des missions de contrôle de conformité et de régularité au niveau des services et organismes publics. Il procède également à des missions d'évaluation des projets et des programmes publics en vue d'apprécier la performance des différents intervenants ainsi que les divers impacts y afférents. A ces deux organes de contrôle s'ajoute la direction générale de l'évaluation et du suivi (ministère du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale) chargée d'élaborer la méthodologie et les instruments d'évaluation et du suivi; de coordonner les travaux d'évaluation et de suivi des politiques et programmes et d'en tirer des conclusions et des enseignements et de les transmettre aux services concernés. Outre les organes relevant de l'exécutif, le système tunisien de contrôle est composé, également, du Hccaf (Haut comité de contrôle administratif et financier) et la Cour des comptes qui, en plus de ses prérogatives classiques de contrôle des comptes des comptables publics et d'audit des finances publiques et des organes de l'Etat, est habilitée à évaluer la gestion de l'Etat, des collectivités locales, des établissements et entreprises publiques, ainsi que de tout organisme dans lequel l'Etat, les collectivités locales, les établissements et entreprises publics détiennent une participation en capital pour s'assurer de la mesure dans laquelle elle répond aux exigences de la bonne gouvernance, notamment en ce qui a trait au respect des principes d'économie, d'efficience et d'efficacité ainsi que des impératifs du développement durable. D'où l'Igspp risque de compliquer davantage un système déjà complexe et qui a toujours fait objet de critique de la part d'experts appelant à sa simplification synonyme, pour eux, d'une meilleure performance. Indépendance et autonomie financière Quoiqu'opérationnelle depuis une année, l'Igspp n'a entamé jusqu'à aujourd'hui aucune mission d'évaluation. «Pendant cette année nous avons essayé d'expliquer à l'équipe ce qu'est l'évaluation d'une politique publique, puisqu'il s'agit d'un thème très complexe et parce que nous n'avons pas d'expérience en la matière en Tunisie», précise Badreddine Braïki, président de l'Igspp, lors d'un séminaire organisé hier à Tunis sur l'évaluation des politiques publiques. A croire les paroles de son président, l'Igspp est composée de fonctionnaires n'ayant aucune expérience ni théorique ni pratique dans le domaine de l'évaluation des politiques publiques, d'où il a fallu, selon ses dires, toute une année pour apprendre à ces «bleus» la notion de l'évaluation. Mais cela est-il suffisant ? Après seulement une année de formation, les fonctionnaires de l'Igspp peuvent-ils vraiment assumer la lourde responsabilité d'évaluer les politiques publiques, de conseiller le gouvernement et de l'aider à prendre les bonnes décisions ? Autre question qui s'impose d'elle-même : pourquoi recruter des gens qui n'ont aucune expérience pour effectuer une tâche si technique et si complexe alors que les autres organes spécialisés regorgent de compétences chevronnées ? Toutefois, ce n'est pas uniquement le manque d'expérience qui a empêché l'Igspp de se lancer concrètement dans sa mission. Il y a aussi « la crise politique » par laquelle est passée le pays. Paradoxalement, cette instance chargée notamment d'évaluer les politiques publiques opère sous la tutelle de la présidence du gouvernement et ne peut mener aucune mission sans un ordre signé par le chef du gouvernement lui-même. «Nous pouvons, certes, proposer des missions, mais nous ne pouvons agir sans un ordre de mission signé par le chef du gouvernement. Nous devons, donc, à chaque fois le convaincre de l'utilité de notre mission», affirme une fonctionnaire de l'Igspp. Or, logiquement une telle instance devrait être indépendante et autonome financièrement pour l'immuniser contre toute tractation politique et pour pouvoir mener sa mission dans les règles de l'art et sans aucune pression ni gouvernementale ni partisane. La logique dit aussi que le président d'une telle instance doit être élu par le Parlement et c'est à ce dernier qu'il doit rendre ses comptes surtout dans cette phase de mise en place d'une démocratie et où les risques sont nombreux.