Si, depuis, les lois ont avancé dans le bon sens, avec une véritable prise de conscience des autorités, ce sont encore les femmes qui ne connaissent pas leurs droits, qui ont du mal à avouer leur détresse qui posent problème Le projet de loi organique sur la violence faite aux femmes déposé par le ministère des Affaires de la femme et de la famille poursuit son chemin par le biais de campagnes de sensibilisation. Adopté le 13 juillet 2016 par le Conseil des ministres, le projet devra être soumis à la Chambre des représentants du peuple au cours de la future session parlementaire. La rencontre organisée mardi dernier par le Centre de recherche et de documentation sur la femme, Credif, représente une des étapes de la mise en forme de ce texte de loi et de sa diffusion. Cette fois-ci moyennant un atelier d'échange d'expériences entre la Tunisie et l'Allemagne sur le thème «La violence à l'encontre des femmes : mécanismes de sensibilisation et de protection des victimes de violence». La Fondation Friedrich Ebert représentée par M. Henrik Meyer y est également partie prenante. Mme Petra Dachtler, chef de mission adjointe de l'ambassade de la République fédérale d'Allemagne à Tunis, depuis la tribune, s'est chargée de présenter l'expérience tunisienne et allemande en matière de protection des victimes de violence. Mme Dachtler n'a pas manqué de souligner le décalage entre un attirail législatif et réglementaire avancé et la réalité. En Allemagne, par exemple, 37% des femmes sont victimes de violence. Le taux à l'échelle européenne est revu à la baisse avec 33%. Ce sont des chiffres très élevés, a-t-elle regretté. Que dire alors des statistiques nationales ?! A titre de comparaison, le pourcentage des femmes tunisiennes victimes de violence se situe autour de 47,9%. Typologie de la violence La ministre des Affaires de la femme et de la famille, Mme Néziha Laâbidi, qui a clôturé la rencontre, a insisté sur la question de la dignité de la femme tunisienne qui doit être préservée par l'Etat et par les lois, elle a également étalé la liste des répercussions de la violence contre les femmes, sur leurs familles et la communauté nationale. La réunion très suivie par le monde associatif a vu la participation de figures connues telle la juriste Mme Hafidha Chekir, vice-présidente de la Fédération internationale des droits de l'Homme, et Mme Dorra Mahfoudh, sociologue, militante féministe, comme elle s'est présentée. Dans son allocution de bienvenue, Mme Dalenda Larguèche, directrice générale du Credif, a présenté un aperçu de l'enquête décrétée par l'Entité des Nations unies pour l'égalité des sexes et le Credif, portant sur la violence basée sur le genre dans l'espace public. L'étude de terrain a démontré l'ancrage des discriminations et la multiplicité des formes de violence que subissent les femmes. Ainsi 53,5% de l'échantillon disent avoir subi une forme de violence dans un espace public au cours des quatre dernières années (2011-2015). Ce n'est, en outre, qu'une seule forme de violence, la typologie comprend également le harcèlement sexuel, psychologique, moral au travail, la violence domestique, etc. Mme Sabine Hartwig, ancienne cadre de la police judiciaire actuellement présidente d'une organisation d'aide aux victimes de crimes «Weißer Ring» qui compte 50 mille membres, 3.200 agents bénévoles formés au conseil et aide aux victimes, ainsi que 420 points de contact couvrant toute l'Allemagne, a tenu à déconstruire dans son exposé les mythes qui entourent la question de la violence, à l'instar de ceux-ci : «Ce sont uniquement les femmes démunies qui sont victimes de violence ou encore si certaines femmes sont battues par leurs partenaires c'est qu'elles aiment ça, autrement elles seraient parties». Les innovations du projet de loi Mme Semia Doula, magistrate chargée de mission auprès du ministère de la Femme, a fait valoir la portée de cette loi, pour renforcer les droits des femmes en Tunisie et en matière de lutte contre les violences basées sur le genre. Ainsi, précise-t-elle dans son exposé muni d'un support visuel qu'en Tunisie, l'article 23 de la Constitution dispose que l'Etat protège la dignité de l'être humain et son intégrité physique. Et concernant l'intégrité physique de la femme spécifiquement, la nouvelle loi fondamentale a garanti une protection renforcée, comme le stipule l'article 46 alinéa 4 qui dispose «l'Etat prend les mesures nécessaires en vue d'éliminer la violence contre la femme». Le caractère innovateur au niveau de ce texte de loi se déploie sur plusieurs volets, la victime peut porter plainte contre l'auteur de l'acte de violence, elle peut se constituer partie civile en cas de classement de la plainte par le procureur ou pour demander réparation devant les tribunaux en cas de procès. La victime a le droit de recevoir des informations juridiques complètes sur le système judiciaire et les services disponibles. Elle a droit à l'assistance juridique gratuite pour se pourvoir en justice, la loi lui garantit notamment le droit à l‘hébergement public, aux mesures de protection associées à une prise en charge médicale, psychologique ainsi qu'à un accompagnement social. Parmi les nouvelles dispositions qui touchent cette fois-ci les employeurs qu'ils soient publics ou privés, la discrimination volontaire des salaires fondée sur le sexe pour un travail égal sera punie en vertu de ce projet de loi de deux mille dinars d'amende. Un volet est consacré au travail domestique des enfants, qui sera puni, prévoit le projet de trois mois d'emprisonnement à six mois et d'une amende de deux mille à cinq mille dinars. La même peine est applicable aux personnes intermédiaires. La peine est portée au double en cas de récidive. Les militantes à la rescousse Ahlem Belhaj, ex-présidente de l'Association des femmes démocrates, définit la violence comme un rapport de domination, «c'est le dernier bastion du patriarcat, résume-t-elle, quand la domination échoue, on a recours à la violence pour la maintenir». Une violence pratiquée le plus souvent par le partenaire intime et non pas uniquement par le mari, il peut être l'ex-fiancé, l'ex-mari, le petit ami. Se rappelant ses débuts à l'Atfd dans les années 90, alors que les victimes des violences ainsi que la société civile étaient totalement démunies face à des situations parfois extrêmes, à l'instar de cette adolescente qui s'est fait violer, et qui n'avait que 13 ans. Le père a renvoyé de la maison la mère parce qu'elle n'a pas su protéger sa fille et la fille parce qu'elle est, à ses yeux, quelque part responsable du viol qu'elle a subi. La mère et la fille se sont retrouvées dans la rue du jour au lendemain. Il n'y avait alors aucun établissement public qui pouvait les abriter. A cette époque, ce sont les militantes de l'Atfd qui les hébergeaient chez elles avec l'impact que l'on peut imaginer sur la vie de ces militantes et de leurs familles. «On n'avait pas d'autres voies possibles, nous faisions appel à notre carnet d'adresses de médecins et d'avocats pour porter assistance aux victimes», rappelle encore Mme Belhaj. Si depuis, les lois ont avancé dans le bon sens, avec une véritable prise de conscience des autorités, ce sont encore les femmes qui ne connaissent pas leurs droits, qui ont du mal à avouer leur détresse, à libérer leurs paroles, à vaincre la honte et la culpabilité qui posent problème, parce qu'elles peuvent subir le mal durant toute une vie, sans être identifiées pour être secourues. C'est pourquoi, comme l'a fait remarquer notre journal, les relais associatifs et institutionnels dédiés aux femmes victimes devraient désormais couvrir l'ensemble du territoire pour mettre en place des circuits d'assistance de proximité.