Le Tunisien Jalel Trabelsi nommé envoyé spécial de la Bad pour la région Mena    Tunisie – Sousse : Arrestation d'un dealer de comprimés stupéfiants    Tunisie – CEPEX : Le Canada : Un marché à fort potentiel qui demande à être explorer    Tunisie – Réduction des prix de ces fourrages    Malgré les restrictions sionistes : 45 000 Palestiniens assistent à la prière du vendredi à Al-Aqsa    Tunisie – Nabeul : arrestation d'un élément terroriste    Tunisie – METEO : Brouillard sur certaines régions    Tunisie – Saisie de cocaïne dans une voiture sur l'autoroute A1    Fédération de l'enseignement de base : Titularisation de 850 agents temporaires chargés de l'enseignement    Burkina Faso : BBC et Voice of America suspendus pour avoir évoqué les centaines de civils tués par l'armée    Omar El Ouaer Trio et Alia Sellami au Goethe Institut Tunis pour célébrer la journée internationale du Jazz    Thibaut Courtois de retour après huit mois d'absence    Guerre en Ukraine: Situation actuelle (Ambassade d'Ukraine en Tunisie)    Fini les récompenses de TikTok en Europe, et un départ probable de ByteDance des USA    Le nouveau pont de Bizerte : Date de début des travaux    Réunion de concertation Tunisie-Algérie-Libye : «Le Sommet de Tunis est inédit»    ActionAid : G-a-z-a devient "un cimetière" pour les femmes et les filles    Explosion du tourisme de croisière en Tunisie    Ons Jabeur affronte Leilah Fernandez en 16e de finale du tournoi WTA 1000 Madrid    Ministère de l'éducation : Un programme de lutte contre les fraudes dans les examens nationaux    Sfax – Crise migratoire à El Amra et Jebeniana : La Tunisie, entre transit et migration, plaidera toujours pour une approche multidimensionnelle    Béja : Les récentes précipitations favorables à près de 30% des superficies céréalières    Match Mamelodi Sundowns vs EST : où regarder la demi-finale de ligue des champions du 26 avril?    Sousse - L'Institut français de Tunisie inaugure un nouvel espace dédié à la jeunesse et à la coopération    Hédi Timoumi : certains donnent des cours d'histoire sans l'avoir jamais étudiée    Journée internationale de la danse : Le Théâtre de l'opéra de Tunis organise la manifestation "Danse pour Tous"    Composition probable de l'EST face à Mamelodi Sundowns    L'Office des phosphates marocain lève 2 milliards USD sur les marchés internationaux    Institut de Presse et des Sciences de l'Information : Un nouveau centre de recherche sur les médias, la communication et la transition    Ligue des champions – Demi-finale retour – Ce soir (19h00) – Mamelodi Sundowns-EST : Faire attention à tous les détails...    Les préparateurs en pharmacie porteront le brassard rouge à partir du 3 juin    Les chinois chargés de remettre à niveau le Stade d'El Menzah : Dans le vif du sujet    Expatriés : Derby County sur Driss Mizouni    Miguel Cardoso : Détermination absolue avant la bataille contre Mamelodi Sundowns    Daily brief national du 26 avril 2024: Saïed s'entretient au téléphone avec Emmanuel Macron    Le statut de l'artiste exige une classification fiscale    En bref    Exposition pluriculturelle «Regarde !», du 27 avril au 19 mai, à l'espace d'art Sadika à Gammarth : Autres perspectives de l'Art    Kais Saied réaffirme l'indépendance financière de la Tunisie lors de sa rencontre avec le gouverneur de la BCT    AMEN BANK : Tenue de l'AGO – Exercice 2023 Renforcement général et excellent rendement    Nabil Ammar participe à la 11e session du Comité mixte tuniso-camerounais à Yaoundé    Kaïs Saïed, Emmanuel Macron, affaire de complot… Les 5 infos de la journée    Hamma Hammami : Kaïs Saïed opère de la même façon que Zine El Abidine Ben Ali    Kenizé Mourad au Palais Nejma Ezzahra à Sidi Bou Said : «Le Parfum de notre Terre» ou le roman boycotté    Safi Said poursuivi suite à son projet pour Djerba    Hospitalisation du roi d'Arabie saoudite    L'homme qui aimait la guerre    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Les deux raisons du nihilisme
L'écritoire philosophique
Publié dans La Presse de Tunisie le 30 - 09 - 2016


Par Raouf SEDDIK
«Il est en effet, à mon avis, plein de bon sens, ce mot d'Homère : Quand deux hommes marchent ensemble, si ce n'est l'un, c'est l'autre qui, à sa place, aura compris...; car nous autres hommes, nous nous tirons en quelque façon mieux d'affaire quand nous sommes ensemble, par rapport à tout ouvrage sans exception, par rapport à toute théorie, à toute pensée...» (348-c) C'est par ces mots que Socrate tente de persuader Protagoras, dans le dialogue du même nom, de la nécessité qu'ils unissent leurs efforts pour venir à bout de la difficulté relative à la question qu'ils se sont proposé d'élucider : la vertu est-elle une ou n'est-elle que l'agrégat de ses parties, à savoir la prudence, la sagesse, le courage, la justice, la piété, etc. ?
Les connaisseurs du personnage de Socrate parmi les hellénistes nous apprennent que le philosophe athénien, tout en menant le combat contre les sophistes, était capable d'user comme eux de ruse en matière de persuasion. Et le lecteur du dialogue en question, parvenu à ce point où se situe le passage cité, est très tenté de mettre cette parole sur le compte de l'aptitude de Socrate à l'artifice, à la manœuvre rhétorique pour déjouer une réticence ou, en l'occurrence, pour attirer un adversaire sur son terrain de prédilection, celui de l'échange par questions-réponses... Ce lecteur n'aurait pas tort. Mais il aurait tort, en revanche, de ne voir dans ce passage que cela. Il aurait d'autant plus tort que, dans cette parole prononcée incidemment, se trouve peut-être cachée la clé de sa philosophie. Que dit cette phrase ? Elle dit que «nous autres hommes, nous nous tirons en quelque façon mieux d'affaire quand nous sommes ensemble». Et cela «par rapport à tout ouvrage», et en particulier «par rapport à toute pensée»...
Le travail de la pensée, pour lequel la Grèce ancienne inaugure un métier particulier, un art propre, est un travail périlleux. A vrai dire, le danger auquel il expose le penseur est un danger qui ne le concerne pas lui seulement : le risque concerne la communauté tout entière. Ce danger, c'est celui du nihilisme. Et les sophistes illustrent justement ce danger en affirmant qu'il n'y a pas de vérité : il n'y a, dit Protagoras, que des vérités relatives: «A chacun sa vérité». On est donc en présence d'un risque d'atomisation de la société et, plus grave encore, d'une sorte d'assombrissement de la vie, d'une instauration de l'ordre du désespoir parmi les hommes et au sein de la cité... Or Socrate engage une façon de philosopher qui n'est ni celle des sophistes ni, non plus, celle des penseurs avant lui comme Héraclite, Pythagore ou Parménide... Cette façon, c'est celle du guérisseur. Et son remède consiste à recréer les conditions de l'union entre hommes, ou entre penseurs, afin de reconquérir le territoire perdu de la vérité.
Pour mieux comprendre cet aspect essentiel de la pensée socratique, il nous faut nous attarder sur le mal dont nous disons que Socrate se donne pour tâche de le conjurer. Et prendre garde que ce mal n'est pas l'effet d'une distorsion qui aurait été infligée à la pensée tournée vers la vérité, mais le fait plutôt d'une pente naturelle à laquelle la pensée se contente de se laisser aller.
Le mal dont nous parlons est double. Pour commencer, et selon une formule qu'on attribue à Héraclite : «Tout coule» ! Tout est fuyant. Rien n'est stable. Le réel ne cesse de démentir toute parole qui l'évoque en vue d'en saisir la vérité. Telle est notre pensée qu'elle ne peut avoir affaire qu'à des choses immobiles, alors que tout autour de nous rien ne l'est, tout est mouvant. Aussitôt qu'elle croit fixer le visage d'une chose, celui-ci change et en révèle un autre. L'immobilité n'est qu'une illusion que le langage nous pousse à recevoir comme vraie mais le penseur, précisément parce qu'il ne se laisse pas abuser, débusque l'illusion et, dans la foulée, se rend compte qu'il existe une inadéquation entre la structure de la pensée et celle du réel. De sorte que le réel ne cesse de glisser entre les doigts de la parole, ne laissant de lui qu'une image arrêtée de lui-même, qui n'est cependant pas lui-même. C'est pourquoi le sophiste, prenant acte de cette impuissance constitutive de notre langage, décide de lui assigner une fonction : celle de conformer le réel selon les situations, pour les besoins du moment et, pourquoi pas, pour les besoins aussi de ses propres intérêts.
Mais la seconde facette du mal pourrait être encore plus déconcertante. On la trouve énoncée dans la critique qu'un autre sophiste célèbre adresse à Parménide et à sa thèse de l'unité de l'être. Le Traité du non-être de Gorgias formule trois propositions fondamentales qui sont les suivantes : «Premièrement, rien n'existe ; deuxièmement, même si quelque chose existait, l'homme ne pourrait l'appréhender et, troisièmement, même si quelque chose existait et que l'homme pouvait l'appréhender, il ne pourrait ni le formuler ni l'expliquer aux autres».
Nous ne chercherons pas ici à montrer de quelle façon Gorgias peut justifier ces affirmations, mais nous voudrions attirer l'attention sur la mise en doute de la capacité de l'homme, non seulement à connaître le réel — ce qui fait l'objet du premier aspect du mal que nous avons évoqué — mais aussi à le restituer par le langage. Cette impuissance du langage n'est pas liée ici au fossé qui sépare l'ordre de la pensée humaine de l'ordre du réel : elle se rapporte au fait que le langage n'est pas en mesure d'apporter la preuve de son pouvoir de restituer quoi que ce soit. La parole que profère l'homme n'exprime qu'elle-même. Quand elle prétend se prévaloir d'un pouvoir de vérité, cette prétention reste infondée. Comme le dit Gorgias, même si le réel pouvait être appréhendé par la pensée, l'homme ne pourrait «ni le formuler ni l'expliquer aux autres».
Cette critique du langage, du reste, n'est pas une curiosité de l'époque ni d'un personnage particulier de cette époque, puisqu'elle a des échos jusque chez des penseurs modernes comme Nietzsche... Pour conclure sur ce point, il faut dire que, selon cette position de Gorgias, ce n'est pas parce qu'il y a de l'être que le langage peut affirmer qu'il en existe effectivement, c'est parce que le langage affirme qu'il en existe que l'homme se laisse naïvement croire que c'est vrai, qu'il se laisse piéger par ce scénario réaliste.
La Grèce est donc ce pays où, en même temps que l'homme découvre son pouvoir de dire la vérité de l'être, il découvre son impuissance constitutive à honorer ce pouvoir, et que ce pouvoir est en réalité illusoire. Tel est le visage du mal que les sophistes laissent apparaître et qu'ils proposent en même temps au défi de la pensée...
Or Socrate est celui qui est là pour rappeler que le remède à ce mal qui frappe la pensée réside dans l'union des forces. C'est seulement dans le partage de la recherche que le langage reconquiert son pouvoir de dire le vrai. Voilà ce que nous essaierons de mieux comprendre la semaine prochaine.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.