Par Abdelhamid Gmati Inquiétant et édifiant ce qui se passe ces derniers temps en Tunisie. Outre la violence, d'abord verbale puis physique et l'émergence et le développement du terrorisme, et ses multiples victimes, le pays est devenu le théâtre d'une vague permanente de contestations, de revendications, de sit-in et de grèves. Mieux : au nom du développement régional et local, au nom de l'emploi et de la lutte contre le chômage, des revendications compréhensibles et légitimes, des groupes d'individus se lancent dans la violence, dans la casse. A Gafsa, à Kerkennah, à Fernana et ailleurs, quelques dizaines de personnes bloquent les rues, les routes, le chemin de fer, les camions, empêchent les entreprises de produire, décrètent des grèves générales, bref ils imposent la loi de la rue. Et à chaque fois, ils ont profité de l'appui, plus ou moins déclaré, de certaines formations politiques. Dans n'importe quelle démocratie, empêcher les autres de travailler et bloquer toute production est inacceptable car contraire aux lois. Nos gouvernements successifs ont, par laxisme, faiblesse, ou lutte pour le pouvoir, laissé cette situation de non-droit s'installer et à chaque fois, ils ont cédé aux revendications même les plus farfelues. Avec la formation d'un gouvernement dit « d'union nationale », on a cru sortir de la période transitoire, pour, enfin, aspirer à un Etat de droit. Que nenni ! Voici que ce gouvernement qui avait résolu les crises de Petrofac et de Fernana en cédant à chaque fois se trouve confronté à une autre situation de non-droit : à Jemna (gouvernorat de Kébili), l'Association de protection des oasis de Jemna, illégale, a procédé, dimanche dernier, à la vente aux enchères de la récolte des dattes de la ferme de la société Stil. Il se trouve que cette vente a eu lieu malgré un jugement en référé rendu par le tribunal de première instance de Kébili (n° 2172 du 15 septembre 2016) sur la base d'un arrêté des domaines de l'Etat portant annulation de la première adjudication prévue le 18 septembre dernier. Selon le secrétaire d'Etat aux Domaines de l'Etat et aux Affaires foncières, Mabrouk Korchid, « deux terres domaniales dites « Henchir Oued El Maleh » et « Essalhiya » sises dans la délégation de Kébili-Sud, d'une superficie globale de 185ha 59a 10ca, sont exploitées par l'Association de protection des oasis de Jemna qui se l'est approprié depuis le déclenchement de la Révolution en 2011. Cette association aurait engrangé, illégalement, les recettes des récoltes de 2011 à 2015 estimées à un montant global de près de six millions de dinars ». Pour lui, « cette vente effectuée par la soi-disant Association de sauvegarde des oasis de Jemna est une infraction, car elle ignore le jugement numéro 2172, émis par le tribunal de Kébili, le 15 septembre 2016, invalidant cette vente aux enchères ». Un communiqué de ce secrétariat d'Etat affirme : «Le secrétariat d'Etat s'est engagé depuis l'avènement du gouvernement d'union nationale et en application du document de Carthage, à la restitution à l'Etat de plusieurs fermes et autres propriétés publiques qui ont fait l'objet d'une mainmise illégale et a réussi à restituer des milliers d'hectares dans plusieurs régions, notamment à Medjez El-Bab et Testour (gouvernorat de Béja), ainsi que la ferme Tarfaya à Douz-Sud (gouvernorat de Kébili)». Au total, 68 mille hectares de terres domaniales agricoles doivent être récupérés par l'Etat. 1500 hectares l'ont été jusqu'ici. Ce qui est édifiant, c'est que cette vente illégale a été soutenue par des députés et des hommes politiques qui se sont rendus sur place. Il y avait là Abdellatif Mekki (Ennahdha), Mohamed Ali-Bedoui et Mahbouba Ben Dhifallah (élus d'Ennahdha à Kébili), Zouhair Maghzaoui (Mouvement du peuple), Samia Abbou (Courant démocrate), Chafik Ayadi (Front populaire) et Brahim Ben Said ( CPR). Samia Abbou a justifié sa présence ainsi : «La plainte de l'Etat visait l'annulation de la vente du 18 septembre 2016. Ce verdict a été respecté, mais l'Etat n'a pas demandé l'annulation ou la suspension de la vente qui a eu lieu hier. Le Front populaire, Ennahdha et d'autres partis qui sont en désaccord se sont réunis pour soutenir la cause de Jemna. Cela assure qu'il s'agit d'une cause juste ». Aussi simple que cela. Pour une supposée avocate, il semble que le droit et la légalité sont absents de sa compréhension. Impardonnable que des députés ayant la charge d'étudier, d'adopter et de défendre les lois soient les premiers à soutenir l'illégalité. Reste à savoir ce que fera le gouvernement. Il ne faudra donc pas s'étonner que le non-droit s'installe puisqu'il est soutenu par ceux qui ont la charge d'édifier un Etat de droit.