Kader Attia, l'artiste franco-algérien, lauréat du prix Marcel-Duchamp 2016,la plus importante distinction de l'art contemporain en France. Avec son installation intimiste «Réfléchir la mémoire», il veut «ouvrir les yeux au monde dans lequel nous vivons, qui est un monde amnésique». Kader Attia, réputé pour son travail artistique sur des questions de l'histoire et de la mémoire, a reçu ce mardi 18 octobre le prix Marcel-Duchamp 2016, la plus importante distinction de l'art contemporain en France. Né en 1970, à Dugny, près de Paris, de parents algériens, il vit et travaille à Berlin. Avec l'espace mental créé pour le Centre Pompidou-Paris, le plasticien ausculte le phénomène du membre fantôme suite à une amputation et le transpose sur les traumatismes des sociétés contemporaines comme l'esclavage, le colonialisme, le communisme, le génocide. «Mon travail cherche à ouvrir les yeux au monde dans lequel nous vivons, qui est un monde amnésique, qui ne regarde plus le passé, qui a peur du passé, qui voit les choses sur le présent uniquement. Cette nécessité de garder le fil avec le passé, avec la généalogie de ce que nous sommes, je le propose à travers de la réparation. Je pense que la question de la réparation est une question fondamentale. Ne pas vouloir la voir, c'est, à un moment donné, se tromper. Je pense que la réparation est partout. Vous avez une veste, avant d'être une veste, c'était un morceau de tissu. L'humanité est une succession de réparations, d'améliorations peut-être. Lorsqu'une personne perd un membre, un bras, une jambe, elle est amputée, elle ressent un phénomène très étrange qu'on appelle membre fantôme. J'ai commencé à travailler sur le fait que le cerveau tout seul répare ce manque. Pourquoi ? Pour quelle raison ? J'ai découvert que la raison est psychologique et électrique. Cela m'a permis de réfléchir à une chose très importante : il est possible de comparer un phénomène traumatique individuel à une société qui a vécu un traumatisme», confirme-t-il. Et en expliquant la «douleur fantôme» qu'il associe avec le colonialisme et l'esclavage, Kader Attia affirme que «les civilisations humaines ont toutes des traumatismes plus ou moins profonds et notamment dus à la taille de ces traumatismes. Par exemple, l'Holocauste du peuple juif, le génocide arménien, les génocides récents au Rwanda, le génocide des Indiens d'Amérique..., les civilisations qui ont été amputées d'une très grande partie ou qui, en plus de cela, ont été culturellement transformées par le colonialisme comme les populations africaines ou d'Afrique du Nord. Si le monde occidental arrivait à comprendre que les blessures, qui ont été créées à ces époques, continuent de tourmenter les sociétés, nous pourrions essayer de dialoguer entre les communautés. Je pense qu'il y a un déni de cela, notamment sur le colonialisme ou sur l'esclavage. Sur les génocides, c'est la même chose. On a travesti les génocides à travers des mémoriaux, et, du coup, même une certaine partie de la population ne reconnaît pas ça ou le refuse. Dans la société contemporaine, il y a une urgence de pouvoir inventer — à travers des dialogues ouverts — une nouvelle forme de partager l'histoire pour qu'elle ne soit pas exclusivement réservée à une élite de la pensée qui la formule», conclut-il. RFI