Hier, «les robes noires» ont franchi le pas et ont annoncé la désobéissance fiscale : «Nous ne payerons pas nos impôts comme tout le monde», ont-ils répété à l'unisson La journée de colère, accompagnée par une grève générale promise par les avocats, a bien eu lieu hier. Et les couloirs du Palais de Justice à Beb Bnat à Tunis ainsi que tous ceux des autres tribunaux à travers l'ensemble de la République ont enregistré la présence active des «robes noires», mais pas pour défendre leurs clients. Non, ils ont accouru en grand nombre pour faire la promotion, auprès des justiciables désabusés, de leur grève, du refus de payer leurs impôts comme tout le monde et de leur décision de décréter ce qu'ils appellent «la désobéissance fiscale». Hier, ils ont sauté le pas : «Au cas où Youssef Chahed n'accepterait pas nos propositions, nous passerons à la désobéissance fiscale et nous ne donnerons plus un millime à l'Etat, c'est-à-dire nous ne payerons même plus les impôts conformément aux déclarations de revenus que nous avons pris l'habitude de faire et que les receveurs des finances acceptaient jusqu'ici». La guerre est bel et bien déclarée par les avocats, et Ameur Maherzi, bâtonnier de l'ordre national des avocats, était aux anges, hier, en déclarant : «La grève a enregistré un taux de réussite de 100%. Le barreau ne se pliera pas à l'injustice pratiquée par le gouvernement vis-à-vis du secteur. Ce jour de grève sera suivi par d'autres formes de protestation». Soufflant le chaud et le froid, le bâtonnier poursuit : «Le projet de loi de finances est anticonstitutionnel (sans préciser comment et où le projet en question piétine-t-il la constitution). Toutefois, les avocats demeurent toujours ouverts au dialogue et son prêts à négocier avec le gouvernement». En d'autres termes, les avocats sont prêts à accepter un projet de loi «anticonstitutionnel» si le gouvernement répond à leurs désirs. Donc, c'est un deal qui ne dit pas son nom auquel appelle Ameur Maherzi : «Oui aux dispositions prévues dans le projet de loi de finances 2017 concernant les autres professions, en contrepartie de notre oui, nous payerons à l'Etat ce que nous voudrons». Et pour contenter tout le monde, plus particulièrement les jeunes avocats qui se verront lourdement lésés au cas où les deux projets alternatifs soumis au gouvernement par le barreau seraient retenus (voir La Presse du jeudi 20 octobre), il demande «une exonération fiscale» pour les jeunes «robes noires». Les justiciables entre l'enclume et le marteau Le même discours estimant que «la pérennité de la profession est en danger» est repris par Me Radhia Nasraoui, avocate et présidente de l'Association tunisienne de lutte contre la torture, qui souligne : «Les charges financières auxquelles on veut astreindre les avocats portent atteinte à la profession déjà fragilisée et auront des conséquences néfastes sur les rapports avocats-clients puisque les honoraires d'avocat augmenteront automatiquement». De son côté, le chef de la section régionale de Tozeur tire la sonnette d'alarme en révélant que les frais de justice (enregistrement des plaintes, obtention d'une copie d'un jugement rendu, etc.) ont déjà connu une augmentation vertigineuse et «les avocats sont dans l'obligation d'aligner leurs honoraires sur les nouveaux tarifs pratiqués par les tribunaux». Mais que pensent les justiciables présents, hier, au Palais de Justice à Bab Bnat ou à l'intérieur du pays et surpris en découvrant que leurs avocats ne plaideront pas et que l'examen de leurs affaires sera reporté à une date ultérieure ? Ils se déclarent, dans leur majorité, non informés à l'avance de la grève, ne pas comprendre le pourquoi de ces débrayages à répétition (protestation contre la détérioration des rapports avocats-magistrats, débrayages pour un bénin malentendu entre un avocat et un agent de guichet, etc.) et se demandent qui va leur rendre les dépenses consenties pour se déplacer à Tunis, à Sousse ou à Sfax pour répondre aux convocations qui leur ont été adressées par les tribunaux. «Nos avocats auraient pu au moins nous avertir à l'avance pour nous épargner ces frais inutiles. Malheureusement, ils ne l'ont pas fait, préférant nous obliger à assister à une messe qui n'est pas la nôtre», disent-ils en chœur. Les médecins de libre pratique et les cliniques privées qui payaient jusqu'ici ce qu'ils voulaient sont aussi concernés. Le gouvernement cherche à les obliger à laisser une quelconque forme de traçabilité sur les documents qu'ils fournissent à leurs patients (ordonnances, factures livrées par les cliniques, feuilles de soins à déposer à la Cnam), le but est de parvenir à savoir combien un médecin de libre pratique arrive à gagner mensuellement. «Il est inacceptable, souligne-t-on au ministère des Finances, qu'un médecin de libre pratique et exerçant en parallèle dans une clinique privée où il effectue jusqu'à trois opérations chirurgicales par jour paye à l'Etat la même somme qu'un médecin de la santé publique qui voit son salaire amputé mensuellement de ses impôts». Sauf que la confrérie des médecins de libre pratique n'accepte pas les dispositions contenues dans l'article 32 du projet de loi de finances 2017. Tout simplement parce qu'il menace sérieusement de faire chuter leur empire et de les considérer comme des citoyens ordinaires, le statut qu'ils n'accepteront jamais.