Un film documentaire où le langage cinématographique avoisine le travail d'un plasticien et le récit d'un ministre effrayant. «Behemoth» est un essai documentaire extraordinaire exécuté par l'un des grands cinéastes chinois en activité et qui a été dévoilé en sélection officielle lors de la dernière Mostra de Venise. Il comptait parmi les meilleurs films de cette édition. Son deuxième passage fut à Oslo (Norvège) où nous l'avons visionné dans le cadre du Festival de cinéma «Film from the south». Le film est d'une rare beauté visuelle, une extase qu'on éprouverait devant le travail d'un plasticien, malgré une absence totale de la voix humaine, seule la voix du réalisateur surgit de temps en temps pour parler justement en tant que Behemoth... Mais qui est Behemoth ? Dans le Livre de Job, Behemoth est le plus grand monstre sur terre créé par Dieu au cinquième jour. Démon du Mal, le Béhémoth est la force bestiale que les hommes ne peuvent ni contrôler ni domestiquer. Il symbolise ici l'industrialisation et l'exploitation sauvage des richesses naturelles qui a fini par échapper au contrôle des hommes et par les réduire en esclavage. Tout se paie ! Mais à quel prix la Chine paie-t-elle son accession au rang de puissance économique majeure ? Un prix écologique et environnemental très lourd selon l'un des grands cinéastes chinois Zhao Liang, auteur de ce documentaire. Le cinéaste a choisi un dispositif de tournage qui, malgré son apparente simplicité, exige une très grande maîtrise du langage cinématographique et du rythme. Une succession de plans et de séquences qui imitent la respiration effrayante et d'apparence tranquille de ce grand monstre. Une narration très inspirée des mythologies et du récit dantesque parce que c'est ainsi qu'est dépeinte la descente aux enfers : à la manière de la «divine comédie». Après les séquences «explosives» où l'homme dynamite la terre pour en extraire du minerai et celles des camions qui sillonnent cet immense corps déchiqueté à côté des prairies encore vivantes mais qui sont appelées à disparaître, la caméra nous entraîne dans les entrailles de la terre là où les hommes sont couverts de poussière et malades de pneumoconiose. Un film poignant et d'une grande force suggestive parce qu'il est basé sur un langage qui oscille entre un monde onirique et la cruauté d'un réel sans paroles.