Par Mahmoud HOSNI LE secrétaire d'Etat auprès du ministre des Finances, chargé des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières faisait récemment une déclaration fracassante et choquante, mais pas totalement surprenante : l'Etat n'a pas recensé la totalité de ses domaines privés et ne dispose pas d'une carte précise les concernant, soixante ans après l'indépendance. Et le secrétaire d'Etat d'enfoncer le clou : l'Etat n'a même pas identifié les personnes qui gèrent certains bien publics et ne sait pas comment sont exploités les revenus générés. Ouvrant davantage cette blessure béante et soulignant cette iniquité criante, M. Mabrouk Kourchid souligne encore : «Dans certains cas, il a été prouvé que ces biens sont gérés par des criminels et des repris de justice». Nous voici dans la situation de l'Etat prodigue qui ne regarde ni à la répartition ni à la distribution de ses richesses. Une prodigalité qui a fait fi des règles du droit, de la justice sociale et de l'équité. Le secrétaire d'Etat a raison de dire que cette situation dure depuis soixante ans. Car c'est un long processus de favoritisme et de népotisme qui y a conduit : d'abord, aux premières années de l'indépendance, lorsque le président défunt Bourguiba avait distribué des biens publics (terres agricoles et autres biens immobiliers) à des résistants, à titre de récompense de leur militantisme et de leur combat pour l'indépendance du pays. Ensuite, le processus s'est poursuivi avec Ben Ali. Dans un premier temps, celui-ci avait institué le ministère des Domaines de l'Etat et engagé une consultation nationale sur les terres domaniales en vue d'une gestion efficiente et rigoureuse des biens de l'Etat. Mais il avait fini par céder aux pressions du lobbying et aux tentations du népotisme et du favoritisme, en attribuant les terres et les biens publics aux Trabelsi, aux Materi et consorts. Pour la seconde fois consécutive de son histoire, grâce aux prébendes, l'Etat se trouve ainsi allégé de ses richesses et biens. Sans parler des biens immobiliers appartenant aux étrangers dont la situation a été gelée et mise en veilleuse par des pontes qui attendaient le moment propice pour une mainmise. L'exemple de la Petite Sicile à La Goulette est encore vivace dans les mémoires et édifiant sur la spoliation éhontée et sans retenue des biens de l'Etat. Et aujourd'hui, il n'y a qu'à voir la situation de la capitale, une ville délabrée parce que mise sous scellés par les barons de la mafia et les réseaux de la corruption, bloquant ainsi tout acte de cession par l'Etat des biens immobiliers pour la reconstruction de la ville. «Et maintenant que vais-je faire ?», comme dit la chanson qu'on fredonne tristement et presque en larmes sur le sort des biens publics, un sort d'autant plus sombre que les criminels et les repris de justice ont leur part du gâteau, comme dans un self-service. Une interrogation qui interpelle le gouvernement, et en premier lieu Youssef Chahed, pour la simple raison que le chef du gouvernement avait inscrit la lutte contre le terrorisme et la corruption parmi les priorités absolues de son action. Le vol éhonté et sans scrupules des biens de l'Etat n'est-il pas la forme la plus criante de la corruption, à l'heure où l'Etat est exsangue et ses caisses sont vides et où les voix des corporations s'élèvent pour moins de contribution et moins d'impôts, abandonnant la barque à son sort, un sort incertain ?