Frédérique Dumas est producteur de cinéma, ce qui est déjà rare pour un métier qui se conjugue plus volontiers au masculin. Elle est également un producteur audacieux, atypique, dont les choix, souvent décidés sur un coup de cœur, se révèlent étonnamment heureux. «Timbuktu», ce film sur le Mali, film inattendu qui fit l'énorme succès que l'on sait, c'est elle. «The Artist», film muet en noir et blanc, véritable ovni qui conquit le public, c'est elle encore. Mais elle n'est pas que cela. Formée dans le sérail politique, elle est très attachée à sa mission de conseiller régional en Ile-de-France, présidente de la commission culturelle, et se bat pour rapprocher la culture du citoyen. Récemment à Tunis dans le cadre d'une grande rencontre féminine, elle prenait le temps de répondre à nos questions. Un jour sur un tournage, quelqu'un vous a demandé : «mais vous, que faites-vous là exactement ?». En fait, quel est le rôle du producteur dans un film ? Etre producteur, c'est assurer plusieurs métiers à la fois. Le premier rôle d'un producteur est celui d'éditeur : il choisit un projet, une histoire, en fait adapter et écrire l'idée, choisit le réalisateur pour la porter. Ce que j'aime dans cette facette du métier, c'est le rôle de découvreur de talents qu'elle implique. La deuxième partie intervient après l'écriture du scénario, au moment du casting artistique : il faut alors incarner le projet. Puis on entre dans la phase de financement. On va voir les chaînes de télévision, les diffuseurs, les distributeurs. C'est là la partie difficile. Et l'on passe enfin à la fabrication. En fait, un film pour un producteur, c'est un peu comme un chantier pour un architecte. C'est lui qui fait le plan et il continue à tout gérer au jour le jour. Une fois le tournage achevé, on passe à la post-production : son, mixage, montage, étalonnage. Le producteur intervient à tous les niveaux, jusqu'à la copie 0. A ce moment-là, on passe le relais au distributeur qui, pour le compte du producteur, tirera les copies, fera les frais de marketing, d'affichage, de publicité... Vous venez du monde de la politique. Qu'est-ce qui a pu vous conduire au cinéma ? J'avais fait des études de relations internationales, et à 23 ans suis entrée au cabinet de Léotard au ministère de la Culture. C'était au temps de la cohabitation. On m'a chargé de la section cinéma. J'y ai pris goût. Puis nous avons perdu les élections. Je suis entrée chez Polygram, tout en continuant ma carrière politique. Je suis donc productrice et conseillère régionale en Ile-de-France, présidente de la commission culture. C'était pour moi une façon de garder ma liberté. Vous avez produit «Timbuktu» avec le succès que l'on sait. Pourquoi ce film a priori difficile ? Ce film est né d'une frustration : j'avais coproduit le film de Bernard Henri Levy sur la guerre en Libye. Ce que nous français avons fait en Libye a eu des conséquences sur d'autres pays, comme le Mali. J'ai donc proposé ce sujet sur le Mali. Au début, il s'agissait de la guerre, puis c'est devenu autre chose. Cela a, effectivement, été un grand succès, esthétique et politique. Un autre de vos grands succès, tout aussi improbable à première vue a été «The Artist», film muet en noir et blanc. Là, je suis partie d'un coup de cœur. En fait, quand on décide d'investir sur un film, on fait des estimations comparatives sur des films similaires. Là, aucune estimation possible, il n'y avait rien de comparable. Cela a été magique. Sur un film comme celui-là, il est impératif que la critique soit très positive. Sinon, les gens n'y vont pas. Nous avons eu de la chance, trois millions d'entrées et tous les prix. On demande toujours à un producteur quel est son film préféré, et il répond souvent : «le dernier». Est-ce votre cas ? Non, c'était, je crois «Noman's Land», un film étrange réalisé par Dany Slavonik sur la guerre en Yougoslavie. Un film qui se passe entre deux tranchées, un peu comme une pièce de théâtre, et qui permet de comprendre exactement ce qui se passait. La première a eu lieu à Sarajevo. Puis, le film a eu l'Oscar du meilleur film étranger. Y a-t-il un film que vous regrettez avoir produit ? Oui, probablement celui que j'ai coproduit avec Bernard Henri Levy sur la guerre en Libye. L'idée de départ était de faire un film sur le droit à l'ingérence, sur le concept de non-assistance à personne en danger. Ensuite, Juppé, Clinton, Cameron se sont rendu compte que ce n'était pas que cela, que nous nous étions trompés, que nous n'avions pas toutes les informations qui nous permettaient de juger. On a tordu la résolution de l'ONU pour y aller, en conséquent nous n'avons jamais pu intervenir en Syrie. Donc, oui, je regrette ce film qui partait pourtant d'un bon sentiment. Quels sont vos projets de films ? Je travaille actuellement sur une série télé. En France, le cinéma et les séries télé appartenaient, jusque-là à deux mondes séparés. Aujourd'hui, la série est en pleine mutation. Elle offre un aspect plus ludique, des auteurs plus faciles. J'ai rencontré des talents qui m'ont donné envie d'y aller. Nous travaillons sur un très beau projet : l'histoire du Concorde : l'accord France-Angleterre, le début de la construction européenne, l'aventure à la fois de la technologie et de la construction de l'Europe à travers le destin de ces équipes. Je prépare également une série sur un procès à travers le regard des douze jurés. Douze épisodes, un pour chaque juré et sa façon d'aborder ce procès. Pour revenir au cinéma, j'attends encore la réponse du réalisateur pour un projet de film populaire de qualité pourrait-on le définir : l'histoire vraie, mais romancée bien sûr, de la manière dont on a sorti l'or de la Banque de France pendant la guerre. Votre deuxième vie, votre vie politique, est tout aussi pleine, semble-t-il. Je suis présidente de la commission culturelle régionale en Ile-de-France. Deux choses me passionnent, et j'y consacre tous mes efforts : la culture dans ce qu'elle a de plus traditionnel, et la fracture géographique et sociale. Je pense qu'il faut rapprocher la culture des citoyens, la rapprocher de leur vie quotidienne et professionnelle. Rapprocher la culture de l'économie, en développant le crow funding par exemple. Rapprocher culture et tourisme, rapprocher le touriste de centres d'attractivité. Je pense profondément que l'éducation artistique et culturelle est essentielle. Pour résoudre tous nos problèmes, il faut un sens critique, des compétences, tout ce que la culture et la pratique artistique permettent de développer.