Plus régulier encore que le retour des hirondelles, l'avènement de l'automne révèle doucement la circularité du temps et des saisons. Autrefois, répétait-on, les saisons sont comme elles sont, toujours là. Notre mémoire nous trompe. Celle des plantes et des animaux est, cependant, plus fidèle‑: elle cristallise la nuit des temps. En effet, si les hirondelles ne font leur nid qu'au printemps et les criquets ne résonnent qu'en été, les cerfs ne brament qu'en automne. Le temps des amours animales rythment, ainsi, le cycle des saisons. Et chaque année, le début propre à l'activité de chaque saison pourra changer, mais toute l'espèce s'y livrera ensemble. Chez l'homme, cette mémoire cosmique semble être sédimentaire ou vestigiale. Au fil d'une méditation poétique ou encore d'une expression pittoresque, une part d'aléatoire apparaît et l'irrégularité s'immisce. L'automne, cette phrase de roches noires écrivant à fleur d'eau lisse un fragment de récits à jamais inachevé, ces étendus remous de nuages brassant les ombres et la clarté, pétrissant l'immensité du vide et du silence, comme une forêt en marche dans le vent, a de tout temps nourri et inspiré la muse de moult poètes et peintres. Ces braves fileurs de mots et ces artistes qui chérissent sans frontière le pinceau ont chanté la beauté de son jeu d'échos avec une sensibilité et un naturel surprenants. L'illustre poète français Charles Baudelaire est au rang des premiers poètes à avoir rendu hommage aux feuilles mortes et aux couleurs de la saison des amours : Chant d'automne (1821-1867) Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres; Adieu, vive clarté de nos étés trop courts‑! J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres Le bois retentissant sur le pavé des cours. Tout l'hiver va rentrer dans mon être‑: colère, Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé, Et, comme le soleil dans son enfer polaire, Mon cœur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé. J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe; L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd. Mon esprit est pareil à la tour qui succombe Sous les coups du bélier infatigable et lourd. Il me semble, bercé par ce choc monotone, Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part. Pour qui‑? - C'était hier l'été; voici l'automne ! Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre, Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer, Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre, Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. Et pourtant aimez-moi, tendre cœur ! Soyez mère, Même pour un ingrat, même pour un méchant ; Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant. Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide ! Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux, Goûter, en regrettant l'été blanc et torride, De l'arrière-saison le rayon jaune et doux‑! Le matin s'est levé sur une aube pluvieuse Déversant son chagrin sur la terre endormie Au loin l'orage gronde sa colère insidieuse Et le vent se déchaîne pas prêt à l'accalmie Une semaine qui commence sous le signe de l'hiver Noyant ses espérances sous une pluie soutenue Les gouttières rigolent d'être ainsi ravivées Par l'eau qui les inondent dès l'aurore venue Caniveaux transformés en torrents de montagne Débordants du trop plein des larmes de là-haut Ça secoue, ça remue, ça hurle et ça castagne Avant de disparaître après un ultime assaut Le sol tout imbibé implore la clémence Avant de succomber sous une déferlante Le ciel, tout éploré, tant sa peine est immense Hurle son désespoir en des larmes abondantes Blafardes sont ces heures ivres d'agoniser Tapies dans la grisaille sur le fond du décor Il nous reste les mots pour les apprivoiser Les repeindre en couleur pour en faire des trésors. Pour le prince des romantiques, Alphonse Delamartine, l'automne fait partie des premières éditions des Méditations poétiques, et en constitue la dix-neuvième pièce. Le poème intégral comporte huit quatrains d'alexandrins : L'automne (Méditation vingt-neuvième) Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure ! Feuillages jaunissants sur les gazons épars‑! Salut, derniers beaux jours; Le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards. Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire ; J'aime à revoir encore, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois. Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire, A ses regards voilés je trouve plus d'attraits‑: C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire Des lèvres que la mort va fermer pour jamais. Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie, Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui, Je me retourne encore, et d'un regard d'envie Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui. Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau‑! L'air est si parfumé ! la lumière est si pure‑! Aux regards d'un mourant le soleil est si beau‑! Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie Ce calice mêlé de nectar et de fiel‑: Au fond de cette coupe où je buvais la vie, Peut-être restait-il une goutte de miel‑! Peut-être l'avenir me gardait-il encore Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu‑! Peut-être dans la foule une âme que j'ignore Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu‑!… La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphyr; A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux; Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire, S'exhale comme un son triste et mélodieux. Dans ce poème, le poète dépeint l'automne, saison de passage entre la vigueur du printemps et la déchéance de l'hiver. C'est plutôt la saison mentale du poète, où il puise dans le lyrisme de la nature pour nourrir sa muse et traduire ses envolées romantiques sur des pages blanches sur lesquelles tout reste à écrire. Mais l'automne est, notamment, la plus sensuelle et non moins charnelle des saisons. Jacques Prévert (XXe siècle) a très bien su explorer cette ample richesse, à travers le plus célèbre de ses poèmes‑: Chanson des Escargots qui vont à l'enterrement A l'enterrement d'une feuille morte Deux escargots s'en vont Ils ont la coquille noire Du crêpe autour des cornes Ils s'en vont dans le soir Un très beau soir d'automne Hélas quand ils arrivent C'est déjà le printemps Les feuilles qui étaient mortes Sont toutes ressuscitées Et les deux escargots Sont très désappointés Mais voilà le soleil Le soleil qui leur dit Prenez prenez la peine La peine de vous asseoir Prenez un verre de bière Si le cœur vous en dit Prenez si ça vous plaît L'autocar pour Paris Il partira ce soir Vous verrez du pays Mais ne prenez pas le deuil C'est moi qui vous le dit Ça noircit le blanc de l'œil Et puis ça enlaidit Les histoires de cercueils C'est triste et pas joli Reprenez vos couleurs Les couleurs de la vie Alors toutes les bêtes Les arbres et les plantes Se mettent a chanter A chanter a tue-tête La vrai chanson vivante La chanson de l'été Et tout le monde de boire Tout le monde de trinquer C'est un très joli soir Un joli soir d'été Et les deux escargots S'en retournent chez eux Ils s'en vont très émus Ils s'en vont très heureux Comme ils ont beaucoup bu Ils titubent un petit peu Mais là-haut dans le ciel La lune veille sur eux. Dans ce texte, Prévert marie calembours, inventions burlesques, néologismes et lapsus volontaires, puis, s'adonne à divers jeux sur le langage pour en tirer des effets comiques, servant à atténuer un noircissement systématique, afin de saisir ce qu'il y a de plus voluptueux dans la saison à l'habillage mélancolique. Justement, la saison des amours a fasciné partout où l'homme a voyagé, laissant ses traces. La part de l'automne dans la poésie arabe est combinée à celle de l'hiver et est le mieux traduite par le prodige irakien Badr Chaker Assayeb‑: Jour de pluie Le matin s'est levé sur une aube pluvieuse Déversant son chagrin sur la terre endormie Au loin l'orage gronde sa colère insidieuse Et le vent se déchaîne pas prêt à l'accalmie Une semaine qui commence sous le signe de l'hiver Noyant ses espérances sous une pluie soutenue Les gouttières rigolent d'être ainsi ravivées Par l'eau qui les inonde dès l'aurore venue Caniveaux transformés en torrents de montagne Débordants du trop plein des larmes de là-haut Ça secoue, ça remue, ça hurle et ça castagne Avant de disparaître après un ultime assaut Le sol tout imbibé implore la clémence Avant de succomber sous une déferlante Le ciel, tout éploré, tant sa peine est immense Hurle son désespoir en des larmes abondantes Blafardes sont ces heures ivres d'agoniser Tapies dans la grisaille sur le fond du décor Il nous reste les mots pour les apprivoiser Les repeindre en couleur pour en faire des trésors. Saison pittoresque et inspiratrice Au charme de la saison des amours, succombent toutes âmes sensibles. Histoire d'un amour intarissable et d'un envoûtement irrésistible, aux nombreux poètes ayant chanté les saveurs de la saison des amours, s'ajoutent plusieurs peintres. A commencer par les paysagistes anglais, dont le fameux William Turner (XIXe siècle). Admirateur aussi bien des maîtres classiques comme Lorrain, Poussin et les Hollandais que de la nature, et lors d'une excursion en Suisse en 1803, l'artiste peintre était enthousiasmé par la vision des Alpes enneigées, éprouvant le sentiment romantique du sublime. De là, il a consacré sa recherche picturale aux effets atmosphériques de la nature. Parmi ses toiles célèbres, «Coucher de soleil embrasé». Il s'agit d'un paysage automnal où le peintre donne à voir qu'il est fasciné par la force primordiale des éléments et qu'il a contemplé avec un mélange d'enthousiasme et d'angoisse l'énergie de la nature. Dans ce chef-d'œuvre pictural, la peinture est à la limite de l'abstraction. L'Allemand Caspar David Friedrich oppose, à travers ses toiles, le charme du paysage germanique et du gothique aux lumières et aux ruines classiques, renonçant au canonique voyage en Italie. La nature fait, aussi, le charme du paysage meublant sa toile «L'Abbaye dans un bois». L'automne se veut, à plus forte raison, une source d'inspiration pour le peintre. En effet, les arbres dénudés qui entourent la ruine abandonnée font songer aux dalles d'un cimetière. Et la gamme très restreinte de tonalités gris-brun traduit une mélancolie désespérée. Les éléments symboliques deviennent de plus en plus nombreux au fil du temps. Quant au peintre impressionniste français Camille Pissarro, c'est plutôt sa toile «Coteau de l'Hermitage, Pontoise» qui fascine tant par ses contrastes ensorcelants. Mimant les couleurs de l'automne, le peintre se sert d'une gamme très limitée de couleurs. Du vert au gris, il exploite toutes les potentialités expressives, créant tour à tour des passages graduels de tons, légèrement estompés. Ce qui donne à la scène un rythme apaisé et mélodieux. C'est, au demeurant, la splendeur et la beauté d'une saison qui multiplie les sentiers d'un voyage au bout des impressions.