L'imposant rassemblement organisé hier par l'Ugtt à la place Mohamed-Ali s'inscrit dans le cadre de la mobilisation pour la grève générale de jeudi prochain (Sami Tahri, porte-parole officiel de l'organisation syndicale) La centrale syndicale a commémoré hier le 64e anniversaire de l'assassinat de son leader historique Farhat Hached par un imposant rassemblement de ses militants à l'emblématique place Mohamed-Ali, où se trouve le siège de l'Union générale tunisienne du travail. L'événement est doublement important parce qu'il revêt à la fois une dimension historique et une autre hautement politique. La première est liée au devoir de mémoire et de fidélité de l'organisation au père du syndicalisme tunisien dont l'assassinat, le 5 décembre 1952, « a marqué un changement radical dans l'histoire de la Tunisie », affirmait hier Hassine Abassi dans le discours qu'il a prononcé à cette occasion. Fidélité à l'organisation, également à son statut et à son intégrité, comme l'a fait, hier, Sami Tahri, secrétaire général adjoint et porte-parole de l'Ugtt, en appelant la justice à rouvrir le dossier des agressions ayant ciblé le 4 décembre 2012 le siège de l'organisation syndicale et ses responsables à la place Mohamed-Ali à Tunis. Dans une déclaration à l'agence TAP, en marge de la commémoration de l'assassinat du leader, Sami Tahri avait déclaré : « Le gouvernement a décidé la dissolution des ligues de protection de la révolution, quant à nous, nous allons poursuivre les investigations pour que toutes les personnes impliquées dans cette affaire soient condamnées ». La seconde dimension est conjoncturelle : la commémoration précède de trois jours la grève générale décrétée pour le 8 de ce mois par l'Ugtt dans la fonction publique. Elle a donc été une nouvelle occasion pour rappeler les revendications des syndicalistes et pour réitérer l'intransigeance de l'Ugtt face au gouvernement d'union nationale en ce qui concerne les majorations salariales pour 2017. Mobilisation pour le 8 décembre Sami Tahri, le porte-parole officiel de la centrale syndicale, n'a pas manqué cette occasion pour déclarer à son tour que le rassemblement d'hier s'inscrit dans le cadre de « la mobilisation des travailleurs et des militants de l'Ugtt pour la grève générale du 8 décembre, en réaction à l'entêtement du gouvernement Chahed dans le dossier des majorations salariales ». Les dirigeants de l'Ugtt maintiennent l'argument de l'entêtement malgré les concessions successives du gouvernement Chahed, à savoir le report des augmentations pour octobre 2017. Les arguments récurrents, au moins deux, des dirigeants de la centrale syndicale sont fermes : d'abord, l'Etat s'est rétracté face à ses précédents engagements sous la pression du FMI ; puis, il n'est plus question que les salariés supportent davantage le fardeau de la crise économique et le poids de l'érosion du pouvoir d'achat, alors que d'autres niches existent dans lesquelles le gouvernement Chahed peut et doit puiser les ressources financières dont il a besoin pour les injecter dans la croissance et le développement, voire réduire ou stopper l'endettement extérieur. L'une des plus importantes parmi ces niches est l'équité fiscale, martèle la centrale syndicale. En d'autres termes, le gouvernement doit faire son travail et appliquer la loi face aux évadés fiscaux, aux contrebandiers et leurs lobbys, pour recouvrer ses droits. Faut-il rappeler que c'est là une revendication de tous les Tunisiens qui réclament également une lutte sans merci contre la corruption. Mais ce qui demeure problématique et inquiétant dans les propos de Sami Tahri est l'annonce d'une période socialement très perturbée pour les prochains jours. Le porte-parole officiel de l'Ugtt a, en effet, affirmé que dans le cas de non-satisfaction des revendications des travailleurs, la grève générale de jeudi prochain sera suivie d'une série de grèves sectorielles et régionales, puis d'une autre grève générale dans tous les secteurs. Annonce qui vient quelques jours après la conférence sur l'investissement Tunisia 2020 et sa moisson de promesses d'investissements dans l'économie tunisienne. Dialogue social La voie est ainsi tracée : d'un côté, une organisation syndicale en pleine offensive sur le terrain des revendications sociales à quelques semaines de son congrès électif (janvier 2017), et de l'autre, un gouvernement sur la défensive mais plutôt déterminé à mettre en œuvre le plan de développement 2016-2020, comptant sur l'effet domino de la Conférence internationale sur l'investissement en termes d'espérances et de confiance en les institutions de l'Etat et en l'avenir. Le dossier des majorations salariales pour 2017, défendu par l'Ugtt, reste le plus brûlant pour le gouvernement Chahed, bien que les autres mouvements de protestation intervenant en cascade (avocats, enseignants, médecins, pharmaciens et autres corps de métiers) ne manquent pas de gravité pour la stabilité du pays et pour la relance économique. Car l'Union générale tunisienne du travail, la plus importante centrale syndicale, lauréate (avec trois autres organisations de la société civile) du prix Nobel de la paix 2015 pour son rôle déterminant dans le Dialogue national qui a sauvé la transition démocratique, est le partenaire incontournable par qui et avec qui se fera le dialogue social et la transition économique. L'Utica, la plus importante centrale patronale, également. C'est avec ces deux organisations, aux côtés du gouvernement, que les solutions de la relance économique pourront être trouvées et menées à terme. Dans son discours à l'ouverture de Tunisia 2020, événement d'envergure internationale qui a suscité l'espoir de lendemains meilleurs chez les Tunisiens, le secrétaire général de l'Ugtt avait affirmé « croire au dialogue et œuvrer à instaurer une stabilité sociale pérenne», tout en appelant les chefs d'entreprise à respecter les droits des travailleurs. Hassine Abassi est dans son rôle, mais les principes mêmes du syndicalisme militant, dont celui de Hached, préconisent l'intérêt supérieur de la nation et sa protection contre toutes les tentatives de déstabilisation, qu'elles soient sociales, politiques, sécuritaires, culturelles ou identitaires et qu'elles soient internes ou externes.