Par Bady BEN NACEUR De par ma lointaine expérience, dans le domaine de la presse écrite, je puis assurer qu'il n'y a pas, finalement, de méthode «objective» ou «idéale» dans la critique artistique. Le mois dernier, lors des Journées cinématographiques de Carthage, j'avais été convié, avec certains de mes amis et collègues, au siège du Syndicat national des journalistes, à un master-class pour les étudiants de l'Ipsi. Le thème de cette matinée, «Le rôle de la critique d'art en Tunisie», avait d'ailleurs suscité beaucoup de questionnements et un intérêt certain, auprès de ces jeunes apprentis appelés, demain, à exercer ce métier. Mes collègues, Khaled Tébourbi et Mourad Ben Cheikh, avaient évoqué, tour à tour, le rôle de la critique dans le domaine de la musique et celui du cinéma, puisque ce dernier domaine faisait pendant à cette énième session des JCC. Je voudrais saluer, ici, la pertinence de leurs interventions et la manière pédagogique et clairvoyante avec laquelle ils ont traité ce thème : comment, dans le domaine de l'information, «mettre en forme», «traiter» les sujets. Autrement dit, les ausculter, les comparer, les incorporer à un «discours», dans le domaine musical ou cinématographique. Et, bien entendu, ils ont parlé des multiples «grilles de décryptage» et qui provoquent à leur tour des «grilles de lecture» aussi importantes que diversifiées. Puisqu'elles sont sujettes aux phénomènes culturels et artistiques (en Tunisie, comme partout ailleurs) de méthodologies. Des méthodologies qui recourent à la thématique, à la sociologie, à la sémiologie, etc. Ainsi surtout aux techniques (musicales et cinématographiques) et à leur histoire qu'il faut bien connaître pour maîtriser les informations. A donner à lire, écouter ou voir. Comme dans le domaine des arts plastiques que j'ai développé à mon tour, je me suis aperçu que mes confrères ont été guidés surtout par l'expérience, sur le terrain, lors d'un concert de musique ou de la projection d'un film. Et qui, plus est, de multiples rencontres, de reportages, d'entretiens avec les actants : musiciens, chanteurs en répétition; scénaristes et artistes du 7e art campant leur rôle, etc, etc. Pour eux aussi, l'expérience aura démontré qu'il n'y a pas de méthode «objective» ou «idéale». Le critique d'art peut aussi utiliser ses intuitions, ses idées et ses jugements sans risque de se tromper, puisque ces derniers vont, à leur tour, appuyer, éclairer le champ de conscience de ceux musicologues ou cinéastes auteurs de ces opérations. Et il n'y a donc pas une méthode exclusive, mais des systèmes de critères multiples. Ce qui fait, d'ailleurs, le style de tel ou tel critique d'art. J'avais parlé, quant à moi, de mon itinéraire assez particulier, au sein du Journal La Presse, un journal francophone, le plus ancien, du pourtour de la méditerranée et qui aura été «une grande école de la vie» «pour moi, heureusement sans trop d'asservissement durant les périodes de crises socioéconomiques, et surtout politiques. Pourquoi ? Parce que je vivais dans le domaine de l'art absolu — grâce au milieu artistique lui-même où tout a toujours été permis : le rêve, la liberté d'expression, la totale subjectivité, mes goûts personnels, etc. Il faut dire qu'à l'époque — une quarantaine d'années déjà ! —, l'apprentissage de la critique artistique, le métier d'écrire sur l'art, ne fut pas du tout aisé. Que j'en avais affreusement souffert car tantôt c'était à cause de mes critiques plutôt acerbes à l'égard de tel ou tel peintre (surtout les peintres, d'ailleurs) qui me prenait à partie, provoquant quelque scandale dans une galerie et sur la place publique, jusque dans notre rédaction où à la direction, où l'on me disait que je n'étais pas un journaliste «objectif», la marque essentielle dans notre quotidien ! A l'époque, il n'y avait pas de page culturelle. C'était avant le système offset et dans la page 3, on dénichait de rares articles, de petits articles sur une colonne (des «saucissons» comme on le disait dans notre jargon) destinés aux expositions des rares galeries de Tunis. Les trois quarts du papelard étaient destinés à la séance de vernissage et aux convivialités et le reste à l'artiste et à ses travaux. Quelques phrases maigrelettes sur le style et le peintre, le graveur ou le sculpteur. Et il a fallu batailler — jusqu'à la fin des années soixante-dix — pour avoir une pleine page culturelle (et même par la suite des suppléments littéraires, artistiques, etc.) digne de ce nom et renforcée par la génération de journalistes critiques d'art des divers secteurs de la culture et des arts. Ceux-là, chers lecteurs, vous les connaissez bien qui continuent leur métier même en tant que collaborateurs, car les journalistes ne partent jamais vraiment à la retraite ! J'ai dit, aux jeunes étudiants de l'Ipsi combien il a fallu, mes collègues et moi, fréquenter les milieux artistiques, surtout les galeries de la capitale et puis en banlieue nord qui sont à l'origine d'un développement extraordinaire des arts plastiques et graphiques. Des artistes de talent, des groupes et des collectifs de taille dont je vous parlerai dans une prochaine livraison. Aujourd'hui, les écoles des beaux-arts et autres institutions font florès. Les artistes sont nombreux, très nombreux, et il faut donc qu'il y ait même une école consacrée à la critique d'art. Une spécialisation destinée au domaine de l'information et des médias dans leur ensemble. C'est une lacune que l'on pourrait combler aussi, en permettant aux jeunes journalistes — grâce à la coopération franco-tunisienne et au système d'émulation de la francophonie — d'aller passer des stages dans les grandes écoles du journalisme à Paris, Bordeaux ou Marseille, qui pourraient enrichir leur enseignement dans le domaine de la critique artistique. Et, cela, tout en leur permettant de se ressourcer directement dans les musées d'art contemporain et moderne, et suivre l'actualité à travers les galeries d'art, les revues et autres magazines qui suivent et analysent les tendances de l'art actuel. Cette lacune, particulièrement sensible à Tunis, dans la plupart de nos médias où les chroniques demeurent encore irrégulières et inégales (presse écrite, radio, télévision...), pourrait s'agrandir encore face aux nouvelles technologies de la communication qui, elles, nous informent d'une manière uniforme et non critique. Une masse d'infos «massifiques», au service de la «culture des loisirs», et qui ne tiennent, même plus compte de la diversité des sensibilités humaines et des artistes qu'ils soient des plasticiens, des musiciens, des comédiens ou autres, d'ailleurs.