Par Abdelhamid Gmati Les Tunisiens s'inquiètent fortement du retour éventuel des terroristes des zones de tensions. Une grande majorité est opposée à ce retour qui est considéré comme « un véritable danger pour la sécurité nationale et régionale ». D'autres estiment que ces Tunisiens ont le droit de retourner dans leur pays, conformément à la Constitution. Pour le directeur général de l'Institut tunisien des études stratégiques (Ites), Hatem Ben Salem, «ces terroristes, qui sont une menace pour la sécurité nationale de la Tunisie, ne sont pas partis par hasard, faut-il le rappeler, on a organisé leur départ ; l'Etat doit prendre ses responsabilités pour identifier les responsables de leur recrutement ». Combien sont-ils ? Leur nombre varie selon les sources. Dans son interview accordée à notre journal (dimanche 1er janvier), le président Caïd Essebsi a été précis : « 2.929, toutes catégories confondues ». Soit. Et qu'on le veuille ou non, ils seront de retour... De façon légale ou clandestine, ils seront parmi nous. Certains sont déjà là, le ministère de l'Intérieur avance le chiffre de 800. Par ailleurs, on apprend que la Tunisie est fortement sollicitée pour accueillir ses citoyens refoulés par les pays européens. Le gouvernement Youssef Chahed a déclaré « son refus au retour des terroristes et n'a signé aucun accord dans ce sens ». Badra Gaâloul, la présidente du Centre international des études stratégiques sécuritaires et militaires, a annoncé, lundi dernier, que le retour des terroristes tunisiens « repentis » a fait l'objet d'une transaction financière, conclue avec des parties étrangères, et que l‘Etat tunisien a, par ailleurs, été soumis à de grandes pressions internationales pour reprendre ses terroristes. En réalité, ces terroristes sont parmi nous depuis bien longtemps ». Il y a deux jours, la Hongrie a demandé à l'Union européenne de supprimer l'aide financière aux pays qui n'accepteraient pas leurs citoyens refoulés du Vieux continent. « Deux Tunisiens qui représentent une menace grave pour l'ordre public ont été expulsés, samedi dernier, vers leur pays après leur sortie de prison », a annoncé le ministre de l'Intérieur français. Deux terroristes, bien connus, ont été livrés à la Tunisie par les autorités italiennes et soudanaises. Des sources sécuritaires estiment que 2.000 Tunisiens seront bientôt extradés d'Allemagne, d'Italie et de France. Il faudra alors faire le tri entre ceux qui ont cherché de meilleures conditions de vie en Europe et ceux qui ont été « radicalisés ». Se pose la question : quel sort réserve-t-on à ces terroristes ? Les uns parlent de les traiter psychiatriquement, d'autres évoquent la déchéance de nationalité. Mais le scénario le plus plausible est que les personnes impliquées dans des actes terroristes tombent sous le coup de la loi antiterroriste qui stipule : «Est coupable d'infraction terroriste et puni de six à douze ans d'emprisonnement et d'une amende de vingt mille à cinquante mille dinars, quiconque adhère, volontairement, à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire de la République, à quelque titre que ce soit, à une organisation ou entente terroriste en rapport avec des infractions terroristes, ou reçoit un entraînement à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire de la République, à quelque titre que ce soit, en vue de commettre l'une des infractions terroristes prévues par la présente loi. La peine encourue est de dix à vingt ans d'emprisonnement et d'une amende de cinquante mille à cent mille dinars pour les personnes qui ont formé les organisations et les ententes précitées ». Malgré les différentes dénégations, le gouvernement s'apprête à recevoir ces terroristes. Lundi dernier, le ministre de la Justice, Ghazi Jeribi, a annoncé l'adoption par un Conseil ministériel restreint du projet de création d'une prison de haute sécurité, qui sera conçue spécialement pour les individus impliqués dans des affaires en lien avec le terrorisme. Ces personnes devront répondre de leurs actes devant la justice. Or, selon le ministre, sur 1.647 détenus au total, 183 seulement ont été condamnés alors que 1.464 sont des prévenus. Ce faible taux de jugement trouve son explication dans plusieurs facteurs, essentiellement la lenteur des procédures de justice, mais aussi le manque de moyens, surtout humains du Pôle antiterrorisme. Et le porte-parole du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme, Sofiène Selliti, affirmait, lundi dernier : « Il faut encourager les juges du Pôle Judiciaire de lutte contre le terrorisme. Car aujourd'hui, seulement huit juges d'instruction et quatre adjoints traitent à eux seuls, quelque 3.000 procès pour terrorisme ». Que faire alors ? D'aucuns avancent l'idée de saisir la Cour pénale internationale (CPI) qui a déjà enquêté sur les crimes commis en Ouganda, en Serbie, Darfour (Soudan) etc. Fadhel Moussa, magistrat, ancien doyen de la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales et ancien député de l'ANC, estime qu'il faut récolter tous les renseignements sur ces personnes « au cas par cas et un par un. La Tunisie est désemparée face à ce travail titanesque. D'où la nécessité de recourir à la CPI. Oubliez l'article 25 de la Constitution car la déchéance de nationalité est une procédure extrêmement lourde ! Mais la CPI, ses dispositifs exemplaires et son expérience peuvent aider la Tunisie dans ce travail de renseignement. La France, la Belgique et l'Allemagne se réfèrent en permanence aux travaux de la CPI. Sans collaboration entre les Etats, ce travail ne pourra pas être effectué ». Quoi qu'il en soit, un constat : les «loups sont entrés en Tunisie».