A la place Mohamed-Ali, rue Souk Ahras où se concentrent les fédérations et les syndicats généraux et dans les cafés avoisinant le siège de l'Ugtt, la mobilisation bat son plein en vue de la finalisation des listes qui concourront à l'élection du prochain bureau exécutif de l'Ugtt Dimanche 22 janvier, seront donnés à Gammarth les trois coups annonçant le démarrage du 23e congrès de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) placé sous la devise «Allégeance à la Tunisie, fidélité aux martyrs, loyauté aux travailleurs». Le congrès, dont les travaux se poursuivront jusqu'au 25 janvier, est perçu par beaucoup d'observateurs et de syndicalistes comme un tournant décisif dans l'histoire de la Centrale syndicale ouvrière dans la mesure où l'Ugtt est considérée au cours des cinq dernières années «comme le parti de la Tunisie, la force sociale et politique qui la dirige effectivement bien que Hassine Abassi, le secrétaire général sortant, et ses lieutenants, dont deux des plus influents Mouldi Jendoubi et Belgacem Ayari, l'accompagneront dans sa retraite syndicale — article 10 du règlement intérieur oblige — répètent que l'Ugtt ne fait pas de la politique, n'interfère pas dans les affaires des différents gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays depuis la révolution. Mais elle ne garde pas le silence quand le pays est en danger et quand les politiciens émergents à la faveur de la révolution se mettent à commettre les erreurs qui peuvent mener la Tunisie au chaos et à la perdition». Et c'est bien ce discours accompagné d'une occupation sociale du terrain qu'on croyait que les syndicalistes ont oublié à la faveur de l'étouffement ou de l'endiguement, que l'organisation a vécus sous l'ancien président Ben Ali, qui ont valu à l'Ugtt le statut dont elle se prévaut aujourd'hui sur la scène politique nationale comme la force numéro un. Le partenariat syndical, la production tunisienne Qu'on la qualifie de politique, de sociale ou de contestataire permanent à l'instar des organisations syndicales jouant à l'opposition systématique au gouvernement en place quelle que soit sa couleur, le constat est toujours le même. Aujourd'hui, rien ne se fait en Tunisie sans que l'Ugtt n'y apporte son aval. Qu'Ennahdha soit au pouvoir, que Nida Tounès gagne les élections législatives et présidentielle et que Ghannouchi et Essebsi aient décidé que la Tunisie soit dirigée par le consensus et rien que le consensus, les Tunisiens se tournent toujours vers la place Mohamed-Ali pour se ressourcer et savoir comment l'Ugtt va réagir. Aujourd'hui que Hassine Abassi se prépare à accomplir sa dernière mission syndicale en concoctant la liste consensuelle qui dirigera l'Ugtt durant les cinq prochaines années et en présidant les travaux du 23e congrès (une première dans l'histoire de l'organisation que beaucoup d'observateurs trouvent illégale), la question qui se pose est la suivante: la nouvelle direction de l'Ugtt va-t-elle persévérer dans la voie suivie jusqu'ici par Hassine Abassi et ses camarades ou va-t-elle changer d'approche de gestion des revendications ouvrières au cas où d'autres syndicalistes s'opposant au choix participatif arriveraient à être élus au prochain bureau exécutif ? Pour le moment, personne ne peut donner de réponse à cette question puisque même la liste consensuelle dite la liste de Hassine Abassi comprenant 9 membres du bureau exécutif sortant peine encore à dénicher les quatre membres manquants, dont en premier la femme syndicaliste qu'on cherche à faire monter à la direction syndicale à tout prix. Naïma Hammami, la responsable du département de la femme active au sein de l'Ugtt, a, semble-t-il, changé d'avis et ne veut plus figurer au sein de la liste conduite par Noureddine Taboubi, le secrétaire général adjoint sortant, chargé de la fonction publique et ancien secrétaire général de l'Union régionale de Tunis — la région qui dispose du plus grand nombre de congressistes votants et où se concentrent les syndicats généraux de l'enseignement de base, du secondaire, des télécommunications, de la santé, du transport, des métallurgies, du tourisme, etc. Noureddine Taboubi, pressenti prochain secrétaire général, qui vient de se dédouaner de l'accusation qu'on lui prête d'appartenir à Ennahdha ou au moins d'être proche de ses thèses, continue à mener, en compagnie de Bouali M'barki, membre du bureau exécutif sortant et candidat au sein de la liste consensuelle, ses consultations en vue de parachever la constitution de sa liste et préfère faire la sourdre oreille aux critiques formulées par certaines parties syndicalistes qui ne voient pas d'un bon œil que Bouali M'barki soit choisi comme responsable de la commission matérielle du congrès et candidat parallèlement au futur bureau exécutif. «Leurs critiques sont fondées quand on sait que la commission en question a les moyens d'influer sur le cours du congrès et donc sur les résultats du vote», souligne une source syndicale qui suit de près les préparatifs du congrès. Les outsiders se rebiffent Et comme à l'accoutumée, les derniers jours qui précèdent le démarrage du congrès sont riches en déclarations et contre- déclarations, en candidatures que personne n'attendait, en accusations le plus souvent sans preuves, en retraits de candidatures à la suite de tractations ou de promesses qui restent à concrétiser. Ainsi Kacem Afaia, le membre du bureau exécutif sortant qui a faussé compagnie à Noureddine Taboubi et à ses anciens camarades, préférant présenter sa propre liste, menace-t-il «d'appeler à un congrès extraordinaire au cas où le 23e congrès aboutirait à une direction qui sentira le compromis politique et comprendra ceux qui se sont déjà compromis dans les tentatives de briser l'Ugtt et de la mettre sous la coupe d'une partie politique que tout le monde connaît». Tahar Berberi, secrétaire général de la Fédération générale des métallurgies et candidat au bureau exécutif, répond énergiquement à ceux qui l'accusent d'appartenir à Ennahdha et se demande pourquoi on cherche à l'exclure alors «que les syndicalistes libres et militants me connaissent depuis longtemps et savent que je n'appartiens à aucun parti politique». Les femmes aussi se mobilisent et sont décidées à rompre avec cette tradition désuète qui veut qu'elles soient syndiquées massivement et reléguées aux strapontins pour ce qui est des responsabilités syndicales. «La femme syndicaliste a le droit absolu d'accéder au bureau exécutif de l'Ugtt eu égard à sa présence massive dans les structures syndicales de base. Je me présente parce que la Constitution a instauré le principe de la parité hommes-femmes et parce qu'il est temps que la femme soit représentée dans la direction centrale», souligne Samia Letaïef, membre de la fédération de la santé.