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Slim Ben Othman (ex-gardien international du CA) : «Non, je ne regrette rien»
L'invité du Lundi
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 02 - 2017

Qui ne se souvient de ce portier qui a marqué son temps? Slim Ben Othman était impressionnant dans les buts. Pourtant, il a été victime de grosses injustices et fut contraint d'arrêter sa carrière à 30 ans au summum de son art. Son tempérament et sa grande gueule lui ont joué un mauvais tour. Il le sait, mais ne le regrette pas. Passé de l'autre côté de la barrière en devenant entraîneur de gardiens, il a été victime d'un accident sur le terrain qui lui a coûté la vue, à vie. Sans que la FTF ne bouge le doigt et ne lui vienne en aide. Interview.
Raccrocher les crampons à 30 ans, après 11 ans de carrière en équipe senior, n'était pas un peu tôt ?
C'est vrai. Cela m'est d'ailleurs resté en travers de la gorge. Un gardien de but atteint son apogée entre 27 et 28 ans. Les premières années de la carrière sont celles de l'apprentissage.
Il est vrai que vous avez commencé un peu tôt...
En effet, j'ai débuté en équipe senior à l'âge de 19 ans. J'ai côtoyé trois générations de joueurs. J'ai commencé avec Khouini, Attouga, Gouchi, Abderrahmen Nasri, Moussa, Ayari, Bayou, Bayari, Boushih, Bach Hamba, en passant par Khalsi, Lotfi Rouissi, Abdelhak et les frères Sellimi. Avec les anciens, j'ai beaucoup appris, notamment aux côtés de Attouga, une légende. D'un autre côté, il était difficile de prendre la relève d'un gardien de sa trempe.
Quel était en ce temps-là votre principal concurrent au poste ?
Mokhtar Naïli. Il revenait du Mondial d'Argentine plus fort que jamais. Je voulais jouer et la concurrence ne me faisait pas peur. J'avais confiance en mes moyens.
Avec du recul, comment vous définissez-vous ?
J'étais un gardien de but courageux. Je n'ai jamais eu peur et j'ai toujours aimé les défis. Par contre, je n'aime pas l'injustice.
Vous évoquez souvent Attouga. Il vous a influencé à ce point ?
C'est mon idole, mon guide. C'est lui qui m'a découvert et m'a mis sur les rails. Il était mon coach dans la catégorie des cadets. C'est lui qui m'a encadré et forgé. Tenez, je vais vous faire une confidence. Jeune, je séchais les cours au lycée pour suivre les entraînements du Club Africain et voir le grand Attouga à l'œuvre. Plus tard, j'essayais de l'imiter pour ensuite me forger ma propre personnalité. Je tiens à dire que Attouga m'a appris le courage. C'était d'ailleurs sa principale qualité. On ne rechignait pas à plonger dans les pieds des attaquants adverses.
En quoi diffère le poste de gardien de but par rapport à celui des autres joueurs ?
A mon avis, c'est le poste le plus délicat dans l'équipe. La faute du gardien est monumentale et se paie cash. C'est un poste ingrat. Le portier joue contre tout le monde. Il doit avoir des nerfs d'acier et une forte personnalité.
«J'aimais être leader»
Il y a eu des clashes dans votre carrière. Vous vous en souvenez certainement ?
Après d'excellents débuts sous la conduite d'André Nagy à partir de 1979 alors que je n'étais encore que junior, j'avais disputé mon premier match face au CSHL. Au fil du temps, j'allais être convoqué en équipe nationale. Là, bonjour les dégâts. Lors d'un stage en sélection, j'ai été soupçonné d'avoir veillé en boîte de nuit. Suite à cela, j'ai été suspendu un an du Club Africain et de la sélection. C'était le début de la cassure. Un rapport avait été envoyé à Mohamed Mzali, alors premier ministre, et l'affaire avait pris de l'ampleur. C'était en 1985. On m'avait suspendu pour que je serve soi-disant d'exemple. C'en était vraiment trop.
Malgré tout, vous êtes revenu à la compétition après avoir pris votre mal en patience...
J'étais déprimé par cet épisode. J'ai pris du recul par rapport au football et je me suis mis à voyager. Entre-temps, j'ai reçu des offres de clubs étrangers. Le Club Africain ne voulait pas me libérer. A l'époque, il n'y avait pas de contrats et pour changer de club, il fallait l'autorisation de l'équipe. Les règlements étaient rigides. Finalement, je suis revenu à la raison et j'ai repris la compétition en 1986 après avoir effectué la totalité de ma suspension. J'ai vite regagné ma place au Club Africain et l'aventure a redémarré. Je suis redevenu le chouchou des supporters. J'ai ensuite regagné ma place en équipe de Tunisie.
Quelles ont été les meilleures saisons de votre carrière ?
Incontestablement les années 1986, 87, 88 et 89, quatre saisons inoubliables pour moi. C'était la génération de Mhaïssi, Abdelhak, Lotfi Rouissi, Abdelli, Khaled et Sami Touati, Yaâcoubi et Bassam Mehri.
Le 29 octobre 1988, il y eut un nouveau clash...
C'était le jour du derby. J'avais de la fièvre et ne voulais pas jouer. On m'a aligné malgré moi. J'ai encaissé un but de loin, œuvre de Khaled Ben Yahia. J'avais perdu la concentration en encaissant un second but. Je ne voulais pas revenir sur le terrain à la reprise. J'ai pris ma douche et on m'a forcé à reprendre le jeu. La seconde mi-temps avait débuté en retard. Nous sommes parvenus à égaliser à 2 buts partout. A un quart d'heure de la fin, Ali Jerbi, l'arbitre, siffle un penalty inexistant. J'ai contesté et je fus expulsé. J'ai suivi le reste du match près des vestiaires et j'ai été provoqué par un agent de l'ordre. S'ensuivit une bagarre et j'ai été emprisonné.
La suite de l'histoire on la connaît. Vous avez été gracié...
C'était le 6 novembre 1989. On m'a fait bénéficier d'une grâce. Les supporters du Club Africain n'étaient pas étrangers à cette décision. C'était aussi à l'occasion du match éliminatoire de la Coupe du monde face au Cameroun que nous avons d'ailleurs perdu.
Considérez-vous être sorti par la petite porte ?
Je n'étais pas le seul. Attouga, aussi légendaire qu'il fût, est sorti par la petite porte. A cause de l'ingratitude des dirigeants. Pour l'histoire, j'en avais marre des complots et j'ai décidé de mettre fin à ma carrière en 1990 après avoir remporté le titre.
Quoi qu'on dise, votre carrière a été échelonnée de records, inimaginables quelquefois...
Je me souviens de celui réalisé en 1980-81 avec André Nagy. J'ai disputé tous les tours de la Coupe de Tunisie sans encaisser le moindre but et finalement, c'était l'Espérance qui a remporté la Coupe en nous battant aux tirs au but.
Où en êtes-vous aujourd'hui par rapport au football ?
J'ai oublié de vous dire que j'ai effectué un bref passage au Stade Tunisien avec Ahmed Mghirbi que je tiens à saluer et à qui je souhaite prompt rétablissement. Puis, ce fut la fin de ma carrière. J'ai pris définitivement ma retraite, mais je suis devenu entraîneur de gardiens.
«Certains se reconnaîtront»
Avez-vous des regrets ? Si c'était à refaire aujourd'hui ?
Je n'éprouve aucun regret. Si c'était à refaire, je referais le même chemin. Non, je ne regrette rien, comme l'a chanté Edith Piaf. J'ai beaucoup appris durant ma carrière. Il y a eu de bons moments et de moins bons bien entendu. J'ai été peut-être victime de mon tempérament. J'ai toujours été une grande gueule, comme on dit.
Pourtant, vous êtes passé de l'autre côté de la barrière en devenant entraîneur...
J'ai fait partie du staff de la sélection nationale. J'ai entraîné les gardiens des sélections cadets, juniors et olympique. J'ai participé à l'éclosion de Farouk Ben Mustapha, Moez Ben Chrifia, Atef Dkhili, Arbi Mejri, Zied Jbali et Slim Rebaï. J'ai travaillé pendant 5 ans en sélection nationale.
Puis, il y a eu l'accident qui vous a causé la perte de la vue...
C'était à l'entraînement. J'ai reçu un ballon en pleine figure. Je n'avais pas donné d'importance au geste. Je ne savais pas que ce serait fatal sur mon état de santé. Le nerf optique a été touché. J'ai depuis perdu la vue, en dépit de 15 opérations chirurgicales payées par moi-même. Je souffre d'un décollement de la rétine des deux yeux. C'est mon destin et je dois faire avec.
Et la FTF, qui était votre employeur, quelle fut sa position?
Aucun membre fédéral de l'époque n'a bougé le doigt. Nous sommes aujourd'hui en procès. Je veux mes droits simplement. Je n'ai jamais été dédommagé. Est-ce normal? Je me bats aujourd'hui contre cette injustice avec l'aide de mon cousin avocat. Entre-temps, j'ai refait ma vie et j'ai deux enfants, outre Mohamed Slim qui joue en Bulgarie. Si j'ai retrouvé la joie de vivre, c'est grâce essentiellement à ma femme Awatef qui me soutient continuellement et à qui je dois beaucoup. J'ai compris que le monde du football est ingrat. D'ailleurs, je n'ai pas d'amis footballeurs.


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