Par Majda El Bahi DAGHFOUS* Qui dit Nabeul, dit le rond-point de la Jarre avant tout ! La jarre ? Elle trône au centre de l'avenue Habib-Bourguiba. L'immense jarre en céramique sert de magnifique écrin à un grand cyprès. Au pied de ce joyau s'étend la célébrissime esplanade, lieu de tous les rendez-vous, rencontres, promenades, de toutes les manifestations. Bordée de part et d'autre d'une rangée de ficus, elle offre une superbe perspective jusqu'à la mer qui vient y dérouler ses vagues. Cette fenêtre sur la Méditerranée donne à la ville son cachet de station balnéaire et aux promeneurs du rêve devant le spectacle du coucher de soleil chaque soir. Désormais plus personne ne pourra admirer ce spectacle car, malheureusement, une rangée d'immeubles en cours de construction ces derniers temps obstrue progressivement cette ouverture vers l'horizon lointain. Architecte, ayant fait carrière à la municipalité de Tunis, j'appelle tous les décideurs pour intervenir au plus vite afin d'arrêter le massacre en cours et qui ne profite qu'à quelques promoteurs obnubilés par le profit. Unissons nos efforts afin que les immeubles ne dévorent pas la Nature, le sable, la mer, l'horizon pour laisser place aux sinistres murs en béton. De grâce, ne dressez pas ce rideau opaque sur cette ville si accueillante par l'odeur typique du zhar qui plane dans ses airs dès qu'il fait beau. Ce n'est pas parce que certains urbanistes chargés de concevoir le plan d'aménagement de la ville ont manqué d'imagination que l'on doit accepter la fatalité et sacrifier une des plus importantes composantes urbanistiques de la ville, particulièrement quand ce plan est en cours de révision. Faut-il rappeler qu'aux années 90, à l'époque où feu Sadok Bahroun était maire de la ville de Nabeul, un bureau d'études a été engagé pour élaborer un plan d'aménagement du front de mer, au niveau des hôtels Néapolis, Kheops et Nabeul Plage. Le projet, mené par la municipalité de Nabeul, tendait certes à aménager des lots à usage d'habitation, pour compenser les terrains à exproprier ou à échanger dans cette zone, mais il prévoyait aussi des espaces d'animation, des rues piétonnières ainsi que des placettes réservées aux promeneurs. L'ensemble de ces aménagements s'articulaient autour d'une esplanade idéalement conçue comme prolongement de l'avenue Habib-Bourguiba et aboutissant à une splendide corniche. L'aménagement, alors préliminairement conçu, respectait jalousement cette perspective fuyante, prenant naissance au rond-point de la Jarre et aboutissant à la plage. Le concept général de ce projet, dont l'aménagement préliminaire a été l'œuvre de l'architecte Adel Sebai, regroupait trois parties prenantes : La municipalité de Nabeul en tant que maître d'ouvrage et dont le rôle était d'assurer la gestion administrative et technique ainsi que la réalisation du projet. Les citoyens propriétaires des terrains objet de l'étude d'aménagement. Des institutions financières dont le rôle était d'investir dans le projet avec une ferme conviction de sa réussite. Le manque de compréhension des étapes du projet de la part des citoyens propriétaires des terrains en question, mais aussi et surtout leur manque d'implication et de volonté ont fait que ce projet n'a pas vu le jour. Après le départ de feu Sadok Bahroun, fermement engagé dans la concrétisation du projet, ses successeurs à la tête de la mairie de Nabeul n'ont jamais daigné prendre la relève et ont préféré enterrer une opération pourtant avant-gardiste et grandement respectueuse du site environnant, arguant des difficultés à convaincre les propriétaires des terrains de l'importance d'une telle réalisation dont, finalement, ils en seraient les principaux bénéficiaires. Mais cela révèle, si besoin, d'une part, la bonne vision de l'architecte Adel Sebai et, d'autre part, la farouche volonté du maire de l'époque, feu Sadok Bahroun, d'œuvrer pour le bien de sa ville. Ces temps semblent malheureusement révolus. Je pense qu'il y'a lieu maintenant de délimiter toute la zone avec ses environs directs, d'instaurer un plan d'intervention foncière (PIF) au profit de la municipalité de Nabeul, ce qui permettrait de procéder aux expropriations nécessaires sans perdre de vue les intérêts des propriétaires du foncier, de charger un bureau d'études pour proposer un plan d'aménagement de détail mettant en valeur le cachet balnéaire et touristique de la ville et judicieusement adapté aux exigences et contraintes du site. Cela reste encore possible du moment que l'histoire nous le prouve. *(Architecte et urbaniste)