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«Il est essentiel de retrouver mon chez-moi»
Entretien avec AMEL MATHLOUTHI
Publié dans La Presse de Tunisie le 28 - 06 - 2017

Moult raisons d'être à la fois surpris et comblé par cette rencontre avec Amel Mathlouthi. L'étonnement vient de nous-mêmes. On peut l'avouer aujourd'hui : nous n'étions pas (loin s'en fallait) parmi ses chauds partisans. Oslo et la somptueuse prestation de «Kelmti horra» ont, bien sûr, déterminé notre (total) revirement. Mais il y a eu mieux, largement mieux : Oslo et Kelmti n'étaient en fait que les «déclencheurs» d'une véritable révélation. Celle d'une musicienne «pas ordinaire du tout», d'abord. Preuve que l'écoute est souvent victime de (nos) préjugés. Celle surtout d'une artiste qui pense profondément son art. Dialectique et caustique. Rare. Apprécions ensemble, avant le rendez-vous du 12 août sur la scène du théâtre romain de «Carthage»
Cette affaire de programmation, déprogrammation, reprogrammation à «Carthage» mérite peut-être clarification. Les organisateurs ont invoqué des «contraintes économiques», puis, la direction «s'est excusée». Vous avez, en revanche, parlé de «résistance, de pression publique et médiatique...», de «torts du système», surtout. Pour vous, l'affaire est comme «politisée». Que s'est-il passé exactement ?
Je pense que l'on peut avancer plusieurs «théories», mais qui sait ce qui s'est vraiment passé ?
Ce qui est sûr c'est qu'il y a eu acceptation et confirmation écrite et, ensuite, rétractation. Logiquement un projet accepté doit être renégocié et non totalement écarté, ceci, disons, dans le cas où les responsables ont surestimé leurs moyens, mais cela est difficilement plausible et justifiable. C'est là où il y a un manque de considération et une absence de réflexion. Je suis très fière que la mobilisation ait payé. Par ma simple présence nous réclamons le festival, un festival qui est nôtre, dont on est fier mais qui doit nous représenter, nous la jeunesse tunisienne créative et innovante, et être fiers de nous.
La pensée politique a ressurgi en moi, mémoire d'un passé pas si lointain. Idée qui a fait forcément conjoncture avec le fait de ne jamais avoir été invitée à chanter en 5 ans malgré une actualité internationale difficile à omettre.
J'estime que de bonnes explications sont plus que nécessaires, nous voulons que la culture soit transparente, que les acteurs qui en sont responsables doivent être au service des artistes et de l'art en Tunisie et non d'une quelconque autre cause. Les budgets doivent être distribués aux projets qui les méritent, à la création qui ne peut exister sans, aux artistes dont les idées sont importantes.
Fait étrange, quand même : quand on veut vous interviewer ici, en Tunisie, dans votre pays, on se retrouve pratiquement privé de références locales. Presque pas d'interviews sur la presse écrite, ou d'entretiens radio et télé. Sans compter que depuis votre passage en 2011, et à l'exception de l'intermède (forcément médiatisé) d'Oslo , on ne diffuse presque jamais vos chansons. Pourquoi cette «coupure» ? Serait-ce vraiment un «black-out», comme vous le laissiez entendre ?
Au bout de 5 ans, cette situation n'est plus acceptable, comme je le disais plus haut, mon projet a développé une visibilité internationale assez importante et indéniable, surtout lors des 3 dernières années, pour une artiste arabe et tunisienne.
Il est essentiel pour moi en tant qu'artiste de retrouver mon premier public et mon chez-moi, je suis très heureuse d'avoir réussi cet exploit malgré plein de rebondissements, de complications et d'aléas de toutes sortes. Je sais qu'il y a beaucoup de journalistes qui me soutiennent, qui sont curieux, je les accueille tous à bras ouverts et leur fournirai toute la matière nécessaire pour diffuser ma musique et couvrir cet événement. C'est presque «le concert impossible», un des grands défis de ces dernières années ! Alors je compte sur tous les amateurs de bonne musique et de bonnes idées pour être présents avec nous.
Par ailleurs, comment vous situer artistiquement, musicalement ? On va être francs : ici, les musiciens de la nouvelle génération, même les rodés en musicologie, ne manifestent que peu, rarement, l'envie d'en parler. Presque du «rejet»... Dans quel univers musical pensez-vous évoluer aujourd'hui ?
Je ne suis pas en contact direct avec les différentes nouvelles scènes en Tunisie et très honnêtement je suis toujours curieuse de voir ce qui se fait de nouveau et je reste à l'affût de ce que font mes compatriotes que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la Tunisie. C'est important de rester curieux, c'est essentiel pour savoir se rénover et rester créatif.
Ce qui m'intéresse c'est de faire de l'art, de trouver de nouvelles manières de m'explorer, tout en ouvrant des portes vers l'inconnu, ce que je fais me dépasse au point que je ne saurai me définir, et d'ailleurs ce ne serait pas juste d'essayer.
Je me nourris beaucoup de mon héritage culturel duquel nous sommes assez privés, mais j'essaie de le développer dans mon imaginaire, de me connecter à Hbiba Msika par exemple, tout en utilisant mes émotions pour adapter la technologie à mes propres besoins. Le minimalisme et la musique expérimentale m'inspirent beaucoup, ces influences se mélangent avec mon lyrisme à moi pour donner quelque chose d'authentique et d'inhabituel à la fois...
La critique occidentale vous classe plutôt dans le «trip hop», dans l'éclectique, l'expérimental, un terme qui va très bien (à notre avis) à votre style de chant : dans «la planante».On a écouté vos deux albums «Kelmti» et «Insan».N'y a-t-il pas, en fait, rupture ? Dans le premier, le message de l'engagement révolutionnaire couvrait presque tout. Dans le second, oui, vous préférez planer, contempler, disaient les poètes andalous. Qu'est-ce qui s'est passé ? Un besoin de «transcendance» personnelle, une maturation ? La révolution vous a déçue ?
Je ne crois pas que ce soit juste de dire rupture, on ne peut jamais rompre avec ce qui émane de soi, ce sont des périodes différentes, des voyages différents, où on mûrit d'une étape à une autre, doucement, sûrement. J'aime cette évolution-là, celle qu'on ne voit pas, qu'on n'identifie pas mais qui le jour où on commence à explorer en studio, éclôt d'une manière totalement spontanée et inattendue. C'est ça que j'aime dans la musique, l'évolution permanente du son, de la parole, de la musicalité, de l'idée. Autrement, c'est le superficiel, c'est la platitude.
Quand on écoute Insen, on ne peut que réaliser que c'est la même personne qui a fait Kelmti Horra, le côté planant et un peu psychédélique, le côté rock progressif sont toujours ressentis dans ma musique mais j'aime aller dans la profondeur, ma mélancolie intérieure ne me fait pas peur. J'ai ressorti tout ça de manière plus intense et plus réfléchie sur «Insen». Il y avait certainement un contexte différent dans «Kelmti Horra», il y avait l'effervescence l'utopie, l'urgence, l'innocence, la volonté déterminée de changer les choses, mais avec beaucoup de poésie et de musicalité. Ce n'est pas un album politique, c'est un album fortement révolutionnaire mais c'est de l'art avant tout.
On est tenté de «démêler» un peu «vos origines». Le sentiment est que le «génétique», le don musical inné a été fortement consolidé par la présence d'une mère institutrice moderniste et pédagogue, et d'un père professeur universitaire militant. Peut-on vraiment parler d'un lien ?
Je sais que le lien le plus immédiat c'est la musique que mon père passait à la maison. Quand on grandit au son de Vivaldi et Beethoven le dimanche matin, on ne peut que développer une sensibilité plus importante ; et puis, peut-être que j'avais déjà l'espace pour accueillir tous ces sons et les faire vivre en moi. Je suis si reconnaissante d'avoir grandi avec Chikh El Efrit, Art Tatum ou Sydney Bechet, ça m'a tellement ouvert l'esprit et l'ouïe. C'est très important le climat dans lequel on fait grandir un enfant et la moindre présence d'art change toutes les perceptions d'un être humain en devenir. Ma maman m'a certainement appris à être indépendante, téméraire et forte. Aller au bout de mes idées et mes rêves sans fléchir, sans concéder ce qui est essentiel pour moi.
Venons-en, si vous le voulez, au concert du 12 août à Carthage. Le contenu : comment le concevriez-vous ?
Le contenu est déjà conçu depuis plus d'un an. En octobre dernier, je suis revenu à Oslo pour l'ouverture du festival «Oslo World», et cette fois le même orchestre, qui m'avait accompagnée au Prix Nobel sur Kelmti Horra, a joué plusieurs titres de mon répertoire. Ma musique étant très «cinématographique», le mélange coulait de source. Cela faisait longtemps que je voulais jouer toute ma musique avec un orchestre symphonique. De plus, depuis que j'ai enregistré mon album Insen, je rêve de le reproduire sur scène avec plein de percussions traditionnelles un peu comme dans El Hadhra. Je pense que le tout fait un mariage formidable et unique. Ces textures sonores très marquées, d'univers et d'influences très différents, seront le plus merveilleux des accompagnements à mes nouvelles chansons et leur côté électronique, ainsi qu'à certains morceaux favoris de mon ancien répertoire.
Ce trip hop «spécial» à multiples inspirations, à la fois parlant tunisien et mêlé à des sonorités électroniques, sans trop de variations de rythmes aussi, avec, de plus en plus, de thématiques «métaphysiques» (Insan dhiif, Chkoun ana, etc.). Comment croyez-vous qu'il sera reçu par le jeune public de l'après-révolution ?Vous êtes-vous préparée à ça ?
Il est vrai que le public le plus difficile est celui de chez soi, mais c'est aussi le public le plus extraordinaire, c'est un très beau challenge, un de plus. Avec la musique que je fais, la simple existence de ces choix sonores est un combat en soi. Sortir des sentiers battus n'a jamais été facile, mais au moins il y a la satisfaction d'aller plus loin, de ne pas s'installer dans sa zone de confort. J'ai toujours été soucieuse d'être utile, d'apporter quelque chose.
Pour moi, ma quête est artistique plus que musicale. ça ne m'intéresse pas de faire une jolie chanson qui va plaire, je veux créer une musique qui prend aux tripes et parle au plus profond de nous et que je peux défendre avec la plus grande des convictions, tout le reste est secondaire. Et puis pourquoi assumer toujours que les nouvelles générations ne sont pas capables d'apprécier une musique qui les fasse réfléchir, qui stimule leurs sens ? Je pense que c'est justement là que se fait la différence, les gens consomment de la musique à bruit constamment, ils ont parfois envie de se poser pour écouter quelque chose qui parle à leurs sens, à leur intérieur le plus caché, qui les fasse voyager en eux et vers d'autres «ailleurs»...
Quelles sont, selon vous, les nouvelles chansons qui ont le plus de chances de produire le même attrait que «Kelmti horra» ? On a capté quelques titres, nous (possibles prédestinés) : Layem, Insan dhiif, Kaddesh, Lost... Et vous ?
Je dirai Fi kolli yawmen, c'est ma chanson préférée, celle en laquelle je me réfugie souvent à la fin du concert, c'est un peu la relève avec tout l'espoir qu'elle porte.
La Tunisie vous a peut-être (sans doute ?) un peu boudée, mais l'inverse peut aussi vous être «reproché». Vous ne prenez plus position. Amel, la flambante depuis 2005, est simplement «méditative» aujourd'hui, en plein «dérapage politicien» ?
Je suis chanteuse et musicienne pas politologue ou reporter, ma flamme et ma ferveur sont toujours là, il n'y a qu'à me voir en concert pour en témoigner ! Mais je refuse d'être prisonnière de quelque attente qui soit. Je veux être libre, j'ai toujours voulu être libre. Je ne me soumets à aucune dictature, j'ai toujours pris le parti de la vérité. J'ai toujours été 100% entière et je continue à l'être. On grandit, on évolue, on mûrit. On ne change jamais qui on est.


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