La chaîne de télévision saoudienne basée à Dubaï (Emirats arabes unis), Al Arabiya, a diffusé samedi dernier un film documentaire accablant, accusant directement le mouvement Ennahdha, l'Etat du Qatar et les associations caritatives d'obédience islamiste, qui ont poussé en Tunisie comme des champignons après les événements de 2011, sans oublier des religieux, dont un imam ex-ministre des Affaires religieuses sous la Troïka, d'être les fomentateurs de l'envoi de pas moins de 6 mille jeunes tunisiens vers les zones de tensions armées, notamment en Syrie et en Libye. Trois mille y auraient péri. Avec force détails, des citations de noms de personnalités politiques et religieuses et d'hommes d'affaires notoires, présumés impliqués dans cette affaire, et des témoignages de parents de jeunes « terroristes » morts en zones de tension, emprisonnés en Syrie ou en Libye, ou retournés en Tunisie, le film de près de 20 minutes décortique tout le processus. Les premiers embrigadements et radicalisations ont lieu dans la localité de Sejnane (siège de la première tentative d'installation d'un émirat daechiste en Tunisie en 2012), puis dans des dizaines de mosquées à travers le pays. La mise en place et l'organisation des réseaux d'envoi et jusqu'au transfert des nouvelles recrues via la Turquie, notamment par voie aérienne, dont le nom de la compagnie et de son propriétaire ne sont plus un secret pour personne, sont menés tambour battant à l'ère de la Troïka, éjectée du pouvoir après les deux assassinats politiques de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi. Les financements qataris « faramineux », de l'ordre de centaines de millions de dollars, affirment le document filmé, échoient dans les caisses d'associations caritatives, ou transitent par la « Qatari Foundation ». Des leaders d'Ennahdha, nommément Le documentaire qui porte, dans certaines séquences, les marques, ou traces, de documents officiels, fuités ou volontairement remis à la chaîne, comme les images des camps d'entraînement de Daech, laisse penser que sa diffusion maintenant s'inscrit dans le cadre, probable, de la poursuite de la campagne de dénonciation de l'implication de l'Etat du Qatar et de ses alliés islamistes, ou complices, dans l'implantation et l'extension du terrorisme jihadiste dans le monde arabe, essentiellement en Syrie, en Irak, en Libye, au Yèmen, dans les pays du Maghreb et des pays d'Afrique. Un bon nombre de ces pays ont, d'ailleurs, rompu leurs relations diplomatiques avec le petit émirat du Golfe après que le quartette Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Bahrein et Egypte, l'eut fait le 5 juin dernier accusant l'émirat de soutenir le terrorisme. Les noms de Rached Ghannouchi, Habib Ellouz, Noureddine El Khademi, Mohamed Frikha, Chafik Jarraya, etc. ont eu droit de cité dans ce document qui affirme, sans formuler le moindre doute, de la responsabilité de ces personnes dans ce qui est advenu d'une partie de la jeunesse tunisienne prise dans les filets du terrorisme. Les présidentes, l'actuelle et l'expulsée (par son propre parti Nida Tounès), de la commission parlementaire d'investigation sur les réseaux d'envoi des jeunes vers les zones de tension, Hella Omrane et Leïla Chettaoui, sont également dans l'image pour réitérer la détermination de certains élus de différents partis politiques non islamistes à aller jusqu'au bout de l'enquête pour dévoiler toute la vérité aux Tunisiens. Pour les observateurs avertis tunisiens le documentaire n'a rien apporté de plus ou de nouveau à ce qu'avancent et soutiennent les opposants d'Ennahdha et les anti-consensus Nida-Ennahdha. Pour beaucoup d'autres Tunisiens également. Les soupçons sont là ; des dossiers, dit-on, sont devant la justice depuis fort longtemps parce que celle-ci est débordée, mais personne ne prouve rien et Ennahdha, qu'on accuse, est encore et toujours au pouvoir. Entre temps, des terroristes, ou présumés tels, reviennent au pays, l‘heure de la fin de Daech ayant sonné du côté de Washington depuis l'arrivée de Trump à la Maison-Blanche. S'il faille se poser une question sur la diffusion, maintenant, d'un tel documentaire sur une chaîne arabe non tunisienne, elle serait la suivante : « qui veut-on atteindre avec la diffusion de ce documentaire ? Ennahdha ? La Tunisie est une (jeune) démocratie et le parti islamiste a accédé au pouvoir par les urnes, sans oublier qu'il a prétendu avoir fait sa mue politique en parti civil. L'opinion publique tunisienne ? Une bonne partie a voté Ennahdha aux législatives de 2014 et Marzouki pour la présidentielle ; l'autre attend encore que la justice fasse la lumière sur les deux assassinats politiques de 2013 et sur les réseaux d'envoi des jeunes en Syrie. La conjoncture politique et diplomatique actuelle, conséquente à la crise des trois pays du Golfe et de l'Egypte avec le Qatar, peut, en effet, mettre à mal les alliés de l'émirat, d'autant que celui-ci a choisi la fuite en avant en se rapprochant ouvertement de l'Iran, principal rival de l'Arabie Saoudite dans la région. Ennahdha pourrait se retrouver dans le viseur des monarchies du Golfe en conflit avec le Qatar et payer son rapprochement avec lui. Le mouvement pourrait même être black-listé, et on peut aisément imaginer les conséquences d'un tel acte sur la scène politique nationale et sur la stabilité sécuritaire et politique du pays. Le documentaire d'Al Arabiya n'est pas un simple reportage diffusé sur le petit écran. Il interpelle, politiquement et sécuritairement, Ennahdha et les Tunisiens. Le parti de Rached Ghannouchi devra réagir avec sagesse, car la Tunisie n'est pas en mesure aujourd'hui de supporter une autre guerre, même si elle est médiatique, contre le terrorisme. Cette guerre, la Tunisie est en voie de la gagner, il n'est plus question de faire marche arrière.