Elles travaillent dans des conditions précaires, perçoivent un salaire de misère, sont exposées quotidiennement au risque d'accident lorsqu'elles sont transportées et sont harcelées sexuellement. Au sein de son foyer, la femme rurale dans la région kairouanaise est toujours la première à se lever et la dernière à se coucher. Malgré la vie difficile, la pauvreté et les difficultés financières, elle s'arme tous les jours de patience et se montre infatigable du matin au soir travaillant la terre avec acharnement et labeur. En plus de ses préoccupations agricoles, elle cherche l'eau et le bois, tisse le tapis, s'occupe du petit troupeau et se rend au souk hebdomadaire pour écouler sa production. Ainsi, la main-d'œuvre féminine a envahi le secteur agricole et travaille en contrepartie d'un salaire misérable comme journalière, supplantant dans la plupart des cas les hommes dans diverses tâches pénibles et qui requièrent beaucoup d'efforts (sarclage, plantation, récolte, cueillette, moisson, battage, etc.). Plusieurs grands propriétaires s'en sont accommodés et disent que pour eux, c'est vraiment une chance d'engager des ouvrières qui ne soient pas trop exigeantes, surtout pour la cueillette et le désherbage où leur travail est très rentable grâce à leur sérieux et leur application dans les tâches les plus exténuantes. Il va sans dire que cette main-d'œuvre saisonnière n'a pas de couverture sociale et n'est affiliée à aucun syndicat. Et malgré les mauvais traitements et les conditions de transport catastrophiques, ces femmes, âgées de 17 à 70 ans, ne se plaignent ni de leur calvaire quotidien ni de l'exploitation matérielle des employeurs du moment qu'elles arrivent à subvenir aux besoins de leurs familles et à préserver leur emploi malgré tout. Ainsi, ce gagne-pain désavantageux, qui met en danger la santé de la femme surtout celles qu'on appelle «Nissaâ Essouani» et qui se déplacent quotidiennement dans des camionnettes pour aller travailler dans les champs et les prairies, se déroule généralement en dehors des canaux juridiques officiels. D'ailleurs, la plupart des agriculteurs continuent de recruter des ouvrières agricoles en dehors des canaux juridiques et en l'absence des conditions les plus élémentaires de la sécurité au travail. Profitant de cette aubaine, les employeurs fixent librement les règles du jeu, surtout en ce qui concerne le salaire pour une journée de dur labeur (de 7h00 à 15h00) qui varie de 8 à 10d. De nombreux décès de travailleuses agricoles Ces injustices sur fond sexiste portent un préjudice non seulement moral aux femmes mais aussi physique. Ainsi, on a enregistré au cours des dernières années un certain nombre d'accidents provoqués par des chauffeurs toujours pressés, ce qui a causé le décès de travailleuses agricoles et des blessures handicapantes à vie pour beaucoup d'autres. Ainsi, à titre d'exemple, deux accidents très graves, au niveau de la délégation de Hajeb El Ayoun, ont eu lieu au mois de janvier 2016 et les nombreuses blessées, longtemps hospitalisées, ont dû subir des opérations chirurgicales très onéreuses. Renversement d'un véhicule transportant une quarantaine de femmes dont 35 ont été blessées Plus récemment, le 13 octobre 2017, un accident a eu lieu dans la zone rurale de Aouled Chamekh (délégation de Bouhajla) et a causé de graves blessures à 7 ouvrières. Deux jours plus tard, soit le 15 octobre, une collision frontale a eu lieu entre deux camionnettes au niveau de la route située entre Menzel M'hiri et El Hmidet (délégation de Nasrallah), et ce, à cause de l'excès de vitesse, ce qui a provoqué le renversement d'un véhicule transportant une quarantaine de femmes, dont 35 ont été blessées plus ou moins grièvement. Ce qui a nécessité leur transfert vers l'hôpital local de Nasrallah et vers les hôpitaux de Kairouan pour celles qui devaient subir des scanners. Femmes entassées les unes sur les autres Hadda S., une jeune ouvrière qui a été fracturée au niveau du bras, nous précise que sa mère et ses deux sœurs se déplacent chaque jour dans des camionnettes entassées avec une trentaine d'autres femmes pour aller cueillir les piments dans différentes parcelles agricoles. Et cela sans aucune assurance et pour un salaire ne dépassant pas les 10d par jour : «J'ai été obligée de faire ce travail pénible malgré mon diplôme universitaire ! Etant au chômage depuis 4 ans et vu l'état de santé de mon père handicapé, j'ai dû me débrouiller pour aider ma mère à subvenir aux besoins d'une famille nombreuse...». Sa copine Marwa A., elle aussi diplômée du supérieur, se plaint des conditions de travail et du risque d'être un jour victime de harcèlement sexuel : «D'abord, on doit se lever, chaque jour, à l'aube, en toute hâte, pour ne pas rater les camionnettes qui viennent nous conduire aux champs agricoles. De ce fait, on quitte le domicile familial vers 6h00 et on ne rentre que vers 16h00 et cela pour un salaire modique. En outre, on ne bénéficie que d'une heure de pause pour le déjeuner. De plus, il nous arrive de ne pas trouver de toilettes, ce qui nous met très mal à l'aise, que ce soit sous une chaleur de plomb ou sous un vent glacial. Mais cela ne semble pas déranger l'exploitant qui ignore souvent des termes comme «les droits des femmes», «la justice», «l'égalité». Enfin, nous devons toujours faire attention à notre honneur. Beaucoup de jeunes filles ont été violentées à cause de leur refus de céder aux avances sexuelles de leur employeur et personne n'ose dénoncer de tels actes et ce par pudeur et par respect des mentalités conservatrices !» A 40 ans, elle paraît en avoir 70 ! Khadija H., âgée de 42 ans et qui a dû subir un plâtre au niveau de la jambe gauche à cause de cet accident, nous confie en ayant les larmes aux yeux : «A mon âge, je souffre déjà d'hypertension et de diabète, mais je m'efforce d'aller travailler dans les champs pour aider mon mari à répondre aux exigences matérielles de mes 4 filles, toutes scolarisées ». Sa santé est mise en danger par l'exposition aux différents pesticides et produits chimiques. Une fois rentrée chez elle, elle doit faire le ménage, préparer le repas, aller chercher l'eau, couper le bois, porter les lourds fardeaux et s'occuper des enfants. Somme toute, malgré le mérite de la femme en tant que pilier de l'économie locale, malgré son dévouement pour le travail de la terre, son mérite reste souvent méconnu et son travail «invisible».