Berlin est actuellement riche d'une attraction supplémentaire. Les nombreux touristes qui découvrent la porte de Brandebourg, un des symboles les plus connus de la ville autrefois divisée, disposent jusqu'au 26 novembre d'un motif supplémentaire pour leurs photos souvenirs et autres selfies. Trois bus pas vraiment flambant neuf se dressent depuis quelques jours du côté ouest de la porte. Trois véhicules mûrs pour finir à la casse côtoient donc un monument historique. Trois véhicules baptisés «Monument» par l'artiste germano-syrien Manaf Halbouni, auteur de cette installation spectaculaire qui renvoie à la guerre en Syrie. Manaf Halbouni veut créer une sorte de pont culturel entre les deux pays qui ont marqué sa biographie. Son père syrien a rencontré sa future femme, une Allemande, durant ses études d'architecture à Dresde dans l'ex-RDA. Le couple a ensuite vécu à Damas où Manaf Halbouni est né en 1984. En 2009, il est venu s'installer dans la ville d'origine de sa mère, la capitale de la Saxe, pour y faire des études à l'Ecole des beaux-arts. «Saxon en fuite» En 2015, lorsque parallèlement à l'arrivée de nombreux réfugiés, l'organisation anti-islam Pegida manifeste tous les lundis à Dresde et fait des émules dans d'autres villes, Manaf Halbouni expose sur une des places de la ville une voiture, symbole d'un véhicule permettant de prendre la fuite. A l'intérieur, on y trouvait de nombreux produits et objets liés à l'Allemagne et importants pour l'artiste : un nain de jardin, un gâteau typique de Dresde et même un petit réfrigérateur. La bière est un plaisir qui se boit frais. Les passants qui le souhaitaient pouvaient monter à bord et se faire prendre en photo avec un panneau précisant «Saxon en fuite». L'installation humoristique et voulant lutter contre la peur fait le buzz sur les réseaux sociaux. «Monument» à Dresde, dédié à Aleppo assiégée Au début de cette année, Manaf Halbouni installe à Dresde les trois bus baptisés Monument, le jour anniversaire des bombardements de 1945 qui ont largement détruit la capitale de la Saxe et qui sont ancrés dans la mémoire collective des habitants. Ces bus font écho à une autre guerre, bien plus actuelle celle-là, en Syrie, l'autre patrie de Manaf Halbouni. A Aleppo assiégée, des bus qui ne circulaient plus à travers la ville avaient été dressés à la verticale pour protéger la population civile des bombardements et autres tirs. L'installation a provoqué en amont, mais aussi lors de son inauguration, de nombreuses polémiques. Des contre-manifestants bruyants ont dénoncé un projet défigurant la ville et voulant leur rappeler qu'à Dresde aussi on avait poursuivi, humilié et tué des personnes considérées comme des ennemis du système. Un dialogue entre les partisans de l'installation, à commencer par le maire de la ville et ses opposants, est impossible. Deux discours irréconciliables s'opposent. Manaf Halbouni déclare alors : «J'aime cette ville et je refuse de m'incliner en la quittant, juste parce que certains ont une autre opinion». «Monument» à Berlin, une touche d'espoir en plus Quelques mois plus tard, c'est donc à Berlin au pied de la porte de Brandebourg que se dressent les trois bus symbole de Manaf Halbouni. La réception est à l'opposé de celle de Dresde. Dans la capitale allemande, l'installation n'a pas été accompagnée de polémiques. Ici aussi, il s'agissait de choisir un lieu symbolique de la guerre, mais avec une touche d'espoir en plus. La porte de Brandebourg inaccessible après la construction du mur de Berlin en 1961, car au milieu du no man's land séparant les deux parties de la ville est aussi un symbole de l'Allemagne réunifiée. Dès le 9 novembre 1989 au soir, des scènes de liesse s'y déroulent, célébrant la chute du mur, et qui sont passés dans l'histoire. Cette porte symbolise aussi qu'il est possible de surmonter les divisions les plus radicales et qu'après la guerre et ses destructions, un pays transformé en champ de ruines peut se reconstruire.