Chaque année, plus de 100.000 élèves quittent les bancs de l'école sans qualification ni diplômes. Quelles que soient les causes, lutter contre ce fléau est un impératif. Les résultats d'une enquête sur l'abandon scolaire précoce a fait l'objet d'une présentation lors du colloque international qui s'est tenu les 6 et 7 décembre, au siège du Centre d'études et de recherches économiques et sociales (Ceres), sur le thème « l'abandon scolaire : approches et expériences». L'étude s'est basée sur un échantillon de 500 élèves, collégiens et lycéens, originaires de différentes régions, à savoir Tataouine, Sfax, Béjà, Ariana et Ben Arous. Ce même échantillon a été réparti à parts égales entre élèves qui ont abandonné les bancs de l'école durant l'année scolaire 2014/2015 et ceux qui poursuivent encore leurs études. L'enquête qui a été réalisée par l'unité de recherche « famille et changements sociaux » relevant du Ceres, durant l'année scolaire 2015/2016 vise à identifier les principales causes du phénomène de l'abandon scolaire précoce en Tunisie ainsi qu'à trouver les moyens de prévention. Chiffres inquiétants Le psychologue Omar Nemri a affirmé que le décrochage scolaire touche principalement l'enseignement secondaire et le deuxième niveau de l'enseignement de base. En effet, selon les statistiques de l'année scolaire 2015/2016, les décrocheurs de l'enseignement primaire ne représentent que 10% du total des déscolarisés, durant cette année. Un autre chiffre alarmant : plus de 100.000 élèves abandonnent l'école, chaque année sans qualification ni diplôme. Selon le psychologue, ce n'est pas le chiffre en soi qui est inquiétant (même s'il est terrifiant). Par comparaison avec la moyenne européenne qui est égale à 12,8%, la Tunisie est bien en dessous de cette moyenne avec un taux d'abandon qui avoisine les 11%. Elle devance désormais plusieurs pays européens. Toutefois, le problème réside en la prise en charge de ces enfants déscolarisés à un très jeune âge par l'Etat. Contrairement à ce qui se passe dans les pays européens, les élèves qui sortent du système éducatif tunisien se trouvent livrés à eux-mêmes en proie à la pauvreté, aux comportements à risque et à la marginalisation. Des facteurs interconnectés Les résultats de l'enquête ont démontré l'enchevêtrement de plusieurs facteurs qui accentuent le risque de décrochage scolaire. A savoir la famille, l'environnement social, le système scolaire et les prédispositions comportementales et psychiques de l'élève. La famille joue un rôle clé dans le phénomène du décrochage scolaire. Une forte corrélation entre le niveau d'instruction des parents et le taux d'abandon scolaire précoce, a été démontrée. Plus les deux parents possèdent un niveau d'instruction élevé, plus le risque d'un éventuel décrochage s'affaiblit. 80% des élèves qui poursuivent encore leurs études ont affirmé que leurs parents ont un niveau universitaire, contre 20% seulement dans le rang des élèves déscolarisés. S'y ajoute la stabilité des relations familiales qui se répercute d'une manière significative sur l'arrêt des études scolaires. 80% des enfants ayant des parents divorcés ont quitté définitivement l'école. D'autres facteurs relevant de la sphère familiale tels que le revenu des parents, la présence d'une bibliothèque à la maison, la possession de son propre bureau, etc. impactent le déroulement normal du processus scolaire chez l'élève et contribuent à l'émergence du phénomène du décrochage scolaire. Le système éducatif représente également un deuxième facteur qui n'est pas de moindre importance. L'étude a montré que les relations conflictuelles entre l'élève et l'enseignant, le redoublement récurrent de l'enfant, l'absence redondante de l'écolier, des difficultés au niveau de l'apprentissage représentent tous des facteurs qui augmentent le risque de décrochage scolaire. D'autres causes liées à la psychologie de l'enfant qui fréquente l'école affectent désormais son parcours scolaire. Le psychologue Dr Nemri a cité, entre autres, le manque de confiance en soi chez l'élève, le sentiment permanent de malaise et d'inconfort au giron de l'établissement scolaire qui contribuent significativement à la déscolarisation. L'impact de l'environnement social joue, à son tour, un rôle crucial dans la recrudescence des cas d'abandon scolaire dans les rangs des élèves. Les élèves habitant les zones rurales sont plus enclins à l'arrêt définitif des études scolaires que les élèves citadins. D'autant plus que le décrochage scolaire s'avère un phénomène viral. L'étude en question a prouvé que la fréquentation d'amis décrocheurs augmente d'une manière considérable le risque d'abandon scolaire. Vaut mieux prévenir ! Dr Nemri a mis en garde contre le manque criant de consultants scolaires et de pédopsychiatres dans les établissements éducatifs. Toutefois, il fait des recommandations dans le but de mieux lutter contre le phénomène de l'abandon scolaire précoce. Il a appelé à instaurer des procédures qui permettent d'identifier les élèves susceptibles de quitter les bancs de l'école, dans les divers établissements scolaires. Il s'agit aussi de cerner les diverses difficultés qu'ils affrontent (psychologiques, éducatives ou sociétales) et d'intervenir pour assister et accompagner les élèves en difficulté à travers des programmes d'appui pédagogique, psychologique et d'aide sociale. Prévenir est le mot clé. Remettre en question le système éducatif ? A vrai dire, le décrochage scolaire est un phénomène mondial, qui, selon plusieurs théoriciens, incombe exclusivement aux systèmes éducatifs déployés dans le monde. Ainsi, a conjecturé le chercheur irakien Darem Bassem, lors de son intervention lors du colloque. Il a argué que le système éducatif des pays arabes à l'instar de la Tunisie ne fait que reproduire les inégalités et les fractures sociales. C'est en se basant sur des théories de plusieurs sociologues à travers le monde qu'il a conclu que le droit équitable à l'éducation couplé à un processus sélectif élitiste a produit un ordre sociétal favorisant les inégalités en les amplifiant même. «Finalement, comment peut-on demander à un enfant issu du milieu rural ou des quartiers défavorisés d'être en compétition permanente avec celui qui est citadin et issu d'une famille aisée, et ce, sous le couvert de l'égalité des chances incarnée par l'égalité face au droit d'accès à l'éducation ? », s'interroge le chercheur qui a appelé à abandonner cette approche qui renforce les disparités face à l'accès à l'éducation alors qu'elle doit être un investissement dans la société, plus particulièrement dans les générations futures.