La grogne est perceptible auprès des pêcheurs dont l'activité se limite à la pêche côtière — ou artisanale —. Et pour cause, leurs gains s'amenuisent suite aux maigres apports en poissons. Ils pointent un doigt les plaisanciers qui pillent les ressources halieutiques, nuit et jour. Sans compter que les spéculateurs et les intermédiaires se sucrent sur le dos des pêcheurs qui bravent les dangers de la mer pour rapporter du poisson frais et satisfaire les clients. Il fut un temps à Mahdia où consommateurs et pêcheurs respectaient scrupuleusement les saisons de pêche pour chaque variété de poisson : ainsi, les daurades, les loups de mer, les mulets ou — muges —, les coryphènes ou — lambouka —, tout comme le pagre et le denté sont pêchés et consommés durant une période donnée, et personne ne trouvait rien à redire. Le poisson était, de ce fait abondant et abordable et personne ne transgressait les règles transmises de père en fils. C'est dire qu'on respectait la flore et la faune pour le bien de tous. Haro sur la surexploitation De nos jours, beaucoup de choses ont changé et pas nécessairement en mieux. La surexploitation de la mer sans discernement a fini par porter un coup très dur au secteur de la pêche côtière. Résultat : les captures se font maigres, voire insignifiantes et le poisson se fait de plus en plus rare. Il faut bien se rendre à l'évidence : les ressources halieutiques sont loin d'être inépuisables. En flânant à Mahdia, à l'ancienne médina, l'on ne manque pas de remarquer le grand nombre de petites barques, en rade, près des côtes ou au vieux port punique jouxtant le cimetière marin. Elles sont toutes belles, bien bariolées et portent des noms évocateurs prêtant à l'optimisme. Elles sont là près de tas de filets de pêche, aux mailles variables, et plus ou moins réglementaires. Leur nombre est jugé un peu trop excessif : 244 barques à rames et 174 autres munies de moteur. Dès que l'embellie s'installe, leurs propriétaires s'empressent de mettre le cap vers des destinations connues, pour pêcher les poissons convoités, en espérant de bonnes prises. Il arrive à plusieurs d'entre eux de rentrer bredouilles au petit port après avoir sillonné, durant des heures, la mer. D'autres débarquent du menu fretin sans grande valeur marchande d'où leur dépit et leur colère. Durant les années précédentes, les apports sont en dents de scie : en 2016, l'on a enregistré 292 tonnes — toutes variétés confondues —, alors qu'en 2015, l'on obtenu 517 tonnes, et qu'en 2014, l'on a recensé 560 tonnes. Cette baisse s'explique, en partie par le non-respect des normes et des règlements en vigueur concernant les mailles des filets utilisés, le raclage des fonds marins, la pêche anarchique, mais aussi et surtout la concurrence déloyale des plaisanciers qui font à leur guise, nuit et jour, en faisant fi des réprimandes des pêcheurs professionnels. La colère des professionnels lésés Sur la jetée en bois au port de Mahdia, Mohamed Zouali, pêcheur professionnel, depuis des lustres, est adossé à un tas de filets. Il est absorbé par un travail qui lui tient à cœur : le rafistolage méticuleux d'un filet mis en pièces par un dauphin indélicat. Prié de nous dire s'il est content du métier qu'il exerce, il nous répond tout en continuant à raccommoder son filet avec un savoir-faire étonnant «Naguère, je gagnais bien ma vie en attrapant les meilleurs poissons. Mais, ces derniers temps, la concurrence illégale est rude : les bateaux de plaisance nous ont porté un coup douloureux. Tout le monde s'improvise pêcheur, de nos jours. La pêche à la ligne exercée par des centaines d'intrus, dont plusieurs fonctionnaires, les scaphandriers et les plongeurs de tout acabit traquent poulpes et poissons, sans ménager les tout petits et ceux qui pêchent en zone interdite, car protégée. Le résultat, nous autres, pêcheurs professionnels, nous y laissons des plumes, c'est le creux de la vague, pour nous, nous vivotons à peine. Pour ma part, je cherche à vendre ma barque», se désespère-t-il, avant d'ajouter : «Mon fils ne pense pas assurer ma succession dans ce métier qui ne nourrit plus son homme. De grâce, empêchez les intrus de causer du tort à ce métier». Forte demande et prix en flèche Très prisés, les produits de la pêche côtière sont vite raflés par les connaisseurs qui les écoulent au prix fort. Au marché aux poissons, ils sont plusieurs à guetter l'arrivée des pêcheurs à peine débarqués, en traînant un ou deux casiers pleins de poissons frétillants pour s'agglutiner autour du produit convoité vendu aux enchères. En tout état de cause, il est temps de mettre de l'ordre dans ce secteur pour limiter les dégâts, en empêchant fermement les plaisanciers de faire les ravages cités. Pour l'heure, les débats sont très animés et les propos des pêcheurs sont crus, tant leur dépit est grand. D'autant que la cherté des prix ne profite pas aux pêcheurs contrairement à ce que l'on pense. Les spéculateurs et les intermédiaires se sucrent sur leur dos alors que les pêcheurs ne font que braver les dangers de la mer et tous les risques y afférents.