Samedi soir, au Centre des musiques arabes et méditerranéennes Ennejma Ezzahra, toujours dans le cadre de Mûsîqât, ce rendez-vous des musiques du monde, Zouheir Gouja, ethno-musicologue de son état, a su séduire et entraîner le public présent, et nombreux, dans une démarche simple et efficace. Le titre, qui peut paraître racoleur à première vue, galvaudé et surconsommé, «Stambali et chants profanes du terroir», a pris une autre dimension par les soins de l'artiste. Personne ne conteste la richesse du patrimoine musical tunisien profondément ancré dans les rythmes et les sonorités maghrébines, mais aussi africaines, et c'est cette démarche-là que Zouheir Gouja s'aventure à explorer avec le public dans les zones encore vierges du patrimoine. Ce spectacle, conçu par un vrai connaisseur, a trouvé la juste mesure pour allier à la fois découverte, spectacle et transe. Une recette qui en a fait adhérer plus d'un, entre mélomanes et profanes. S'appuyant sur les nombreux résultats de ses recherches ethnographiques au sujet des différents instruments traditionnels, parfois insolites, Zouheir Gouja a servi un round-up assez consistant, allant contre toutes les attentes et les prévisions du public. De fait, «Stambali et chants profanes du terroir» a fait d'une pierre plusieurs coups: découverte de formes brutes de musiques perpétuées et transmises par la tradition orale, présentation d'instruments insolites et de leur fonctionnalité dans un ensemble, voyage agréable et entraînant dans les fins fonds d'une musique encore mal exploitée et peu mise en valeur. La proposition musicale de Zouheir Gouja, «Mémoire en transe», s'inscrit dans un courant artistique qui propose une "pratique de la musique traditionnelle" plutôt qu'une "pratique traditionnelle de la musique", et ce, en associant divers genres et instruments musicaux du pays et en créant de nouveaux cadres d'interactions. Les arrangements proposés et les instruments de musique utilisés (gombri, wtar, gasba, chqacheq, tabla/bendir…) illustrent les liens historiques et culturels de la Tunisie avec le reste de la région maghrébine, notamment la région saharienne. Le programme musical est composé d'une suite (nouba) dans laquelle s'intercalent des chants du répertoire spécifique à la confrérie tunisienne « Stambali », des chants puisés dans différents répertoires profanes tunisiens (régions de Kasserine, Souassi, Sud-Est tunisien…), ainsi que des pièces instrumentales et des improvisations. Pourquoi Zouheir Gouja a-t-il réussi là où d'autres ont failli et sont tombés, ou dans le folklore ou dans des propositions savantes ? D'abord, ce spectacle repose sur une large et longue recherche, une démarche propre à l'ethnologie et à l'ethnographie. Un travail de longue haleine qui ne rentre pas dans des considérations autres que la recherche. Ensuite, son intérêt visible et fortement ressenti pour toutes les formes musicales existantes (sans jugement de valeur) et leurs protagonistes. Une attitude qui lui a permis de collaborer étroitement avec un maître de Stambali ,«maâlem» et joueur de gombri, Salah El Ouergli, et de puiser chez lui tout un registre encore méconnu. Enfin, une conscience de son rôle d'artiste éclairé, au-delà de son statut d'universitaire et de chercheur, pour sublimer des noubas et des musiques sans les dénaturer. Le spectacle «Stambali et chants profanes du terroir» est un des rares et précieux travaux artistiques qui a fait sortir les musiques dites traditionnelles des tiroirs des centres de recherche pour les présenter au public sous une forme respectueuse de son sens initial et sans en profaner l'âme. Zouheir Gouja a su comment accompagner ces musiques-là, leur donner une note d'originalité, peut-être faire varier les interprétations à travers la voix sublime de la jeune chanteuse Raoudha ben Abdallah et faire plaisir au public avec cette relecture d'un patrimoine inépuisable.