Cette version inédite de «Carmen» est née d'une idée du directeur de l'Opéra de Florence, Cristiano Chiarot, qui souhaitait que la fin du chef-d'œuvre de Bizet soit revisitée, afin de lui donner une forte note d'actualité contemporaine. Le metteur en scène, Leo Muscato, d'abord très réticent, a fini par trouver une solution. Carmen échappe donc à la mort en tuant (à coup de revolver) Don José, fou d'amour et dévoré par la jalousie. Mais son geste n'est pas prémédité : c'est un acte d'autodéfense. Un final qui vise à sensibiliser les spectateurs aux violences faites aux femmes partout dans le monde. Et notamment en Italie, où l'on compte 600 meurtres de femmes au cours des quatre dernières années. Dans 88 % des cas ils ont été perpétrés par leur époux, leur amant ou ex-amant, ou un autre homme de leur proche entourage. Censurer l'art ? Avant même d'avoir été vu, cet opéra a suscité une forte controverse. Les associations qui encouragent les femmes à rompre l'omerta, à se défendre des violences pouvant les conduire à la mort, soutiennent cette nouvelle adaptation de l'Opéra de Bizet. Parce qu'elle s'inscrit dans une volonté de solidarité. Mais divers critiques estiment qu'il n'y a pas lieu de censurer l'art au nom des pressions contemporaines. Ainsi, l'expert en art lyrique, Alberto Mattioli, qui écrit pour le quotidien La Stampa, rappelle que, selon le philosophe grec de l'Antiquité Aristote, «montrer les passions humaines et leurs catastrophes permet aux spectateurs d'accéder à la résilience». «D'où la valeur éducative du théâtre». Il défend la grandeur du personnage de Carmen «parce qu'au nom de sa liberté elle préfère se faire poignarder plutôt que de se soumettre». Et il conclut en disant: «Quiconque voit Carmen ne peut que sympathiser avec elle, dans le sens étymologique du mot, c'est-à-dire souffrir avec elle. Et par conséquent... réfléchir sur le présent». Le metteur en scène Leo Muscato s'autorise d'autres libertés. Il situe sa «Carmen» dans un camp de Roms, évacué par des policiers anti-émeutes, au début des années 80. Et non pas à Séville, devant la caserne des dragons d'Alcala, en 1830. Là encore, c'est une interprétation plus contemporaine de Carmen. «Mais qui ne détruit ni l'œuvre de Bizet, ni la nouvelle de Prosper Mérimée dont l'opéra s'inspire», assure le metteur en scène calabrais, Leo Muscato, qui a fait couler tant d'encre aux quatre coins du monde. Avant même la première du spectacle, dimanche soir, à Florence.