Si elle est devenue symbolique dans les villes, la dot reste, par contre, solidement ancrée dans les us et coutumes des régions. La commission des libertés individuelles s'est penchée récemment sur la question de la dot. La dot est un montant accordé par un prétendant à sa future épouse pour sceller les liens sacrés du mariage. Appelé «mahr», il permet à cette dernière de pouvoir faire face aux dépenses de la cérémonie. Instaurée par la religion musulmane, cette coutume qui a traversé les siècles s'est adaptée aux us et coutumes dans les régions, c'est ce qui explique le fait que la dot attribuée à l'épouse diffère selon qu'elle soit originaire du sud, du nord ou du centre. Dans les grandes villes, la dot a fini par perdre sa valeur pour être ravalée au rang de geste symbolique qu'effectue un futur époux à l'égard de sa dulcinée afin de respecter les traditions. Il en va autrement dans les régions et les zones rurales où la dot a une forte charge symbolique et financière et symbolise le sérieux de l'engagement du prétendant, ainsi que le respect qu'il voue à sa belle-famille. Le montant de cette dot, qui est élevée, se heurte aujourd'hui à la cherté de la vie devenant de plus en plus contraignante pour de nombreux jeunes qui ont du mal à s'en acquitter. A l'ère de l'égalité entre les hommes et les femmes, elle ravale, selon les détracteurs, ces dernières au rang de marchandise et légalise la violence conjugale au sein du couple, dans la mesure où les hommes, issus de milieux conservateurs, considèrent que cette dot leur donne le droit et le pouvoir de consommer le mariage et de disposer de leurs épouses comme bon leur semble. L'annonce de l'éventualité de supprimer un jour le «mahr» suscite aujourd'hui deux prises de position, en l'occurrence ceux qui sont pour et les conservateurs, qui y sont fermement opposés, car il ne faut pas, selon eux, toucher aux préceptes de l'Islam. Cherté de la vie et traditions Des jeunes, en âge de se marier, ont bien voulu émettre leurs avis sur la question, à l'instar de Rafik, la quarantaine, originaire de Sidi Bouzid, qui a déclaré «que verser une dot à sa femme pour rendre le mariage halal est un précepte de l'Islam. Personnellement, je trouve que donner de l'argent à une femme pour l'épouser la ravale au rang de marchandise»... Rania, la trentaine, mère de deux filles, originaire de Sousse, a émis également son avis sur cette question. «Je pense que de nombreuses familles exigent des montants exorbitants, alors que la religion musulmane recommande que la dot soit modeste et symbolique». Warda, une jeune femme célibataire, originaire de Béja et âgée d'une trentaine d'années, a expliqué, de son côté, que dans la région dont elle est originaire, la cherté de la vie a contraint les habitants à conférer davantage de flexibilité aux traditions, et ce, en assouplissant les critères d'octroi de la dot afin d'alléger les charges du futur marié. «Le marié a la possibilité de s'acquitter de la dot en deux fois. Par ailleurs, les familles n'exigent plus des dots dont le montant est élevé afin de permettre aux jeunes couples de se marier sans être alourdis par les dettes». D'autres, à l'instar de Larbi, originaire du Cap Bon, jugent que si la dot fait partie intégrante des traditions et doit être préservée pour cette raison, elle ne doit pas être un obstacle au mariage des jeunes. «La dot est une tradition à respecter. Plus les dépenses du mariage sont sobres et modiques, plus il sera plus facile de garantir un mariage réussi. A l'opposé, plus les dépenses sont importantes, plus le couple risque d'être confronté à de grandes difficultés financières. Les familles doivent éviter d'exiger des dots trop élevées». «Discriminations à l'égard de la femme» Le tissu associatif a été le premier à réagir à la question de la dot du mariage. Mariem Garali Hadoussa, présidente de l'Association «Voix de femme», a révélé que «la commission des libertés individuelles a émis plusieurs propositions qui devront faire l'objet de projets de loi». Le texte sur la dot sur lequel s'est penchée la commission figure dans l'article 13 qui stipule que «le mari ne peut, s'il ne s'est pas acquitté de la dot, contraindre la femme à la consommation du mariage». Mme Garali estime que cet article du Code de Statut Personnel (CSP) en lui-même est «une atteinte à l'intégrité de la femme et à sa personnalité, car il suppose que la future épouse fait l'objet d'une transaction marchande». Et d'ajouter : «La dot est remise en question car il y a eu beaucoup d'évolution des droits des femmes. De nos jours, il devient inadmissible de garder ce texte de loi, même si on ne peut changer les mentalités». Elle affirme que son association a déjà exprimé sa position à l'égard de cet article sur la dot, l'année dernière, lors des festivités du 60e anniversaire du CSP. Pour sa part, Mme Jinan Limam, enseignante de droit public et présidente de l'Association tunisienne de défense des libertés individuelles (ADLI), a révélé que «la dot est une de ces discriminations sexuelles instituées par le droit. Du point de vue du droit positif, garder figé l'aspect clairement discriminatoire est plus que jamais inacceptable, estime-t-elle. Aujourd'hui en Tunisie, en raison de son anachronisme, la dot est en contradiction avec les principes d'égalité et de non-discrimination consacrés par la Constitution du 27 janvier 2014 et par les conventions internationales ratifiées par la Tunisie, notamment la Cedaw. Il est également en contradiction avec la loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017, relative à l'élimination de la violence à l'égard des femmes», a-t-elle, par ailleurs, affirmé. Apportant son avis sur la question, Slah Jourchi, journaliste spécialisé en affaires politiques, a, de son côté, tenu à préciser que «le comité n'a pas recommandé l'abolition de la dot. Ce qui circule ces derniers jours comme informations sur les réseaux sociaux n'a rien à voir avec la position du comité», conclut-il.