Par Soufiane BEN FARHAT Si tout le monde a intérêt à ce que les victoires s'éternisent, les défaites, elles, gagnent à être brèves. Autrement, les débâcles se doublent de tortures au quotidien. Les dirigeants de l'Otan doivent en être plus que conscients. Jeudi 14 octobre, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères de l'Alliance atlantique se sont réunis à Bruxelles. Objectif, débattre de la nouvelle stratégie de l'Otan. C'est à dire des nouvelles missions à assigner à leur alliance telle que la défense antimissile. Fait révélateur, durant le demi-siècle qu'a duré la Guerre froide, l'Otan n'a adopté que quatre concepts stratégiques. Or, depuis l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, le nouveau concept stratégique débattu à Bruxelles est le troisième du genre ! Et il se trouve que le projet de concept stratégique de dix pages présenté par Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l'Otan, soit le plus controversé. Intra muros s'entend. En gros, l'Otan se retrouve au centre de tiraillements de trois blocs de pays membres opposés et contradictoires. Le cabinet de conseil américain Stratfor les a identifiés. Il y a en premier lieu le noyau dur de l'Europe (l'Allemagne, la France et leurs alliés du Club Med, sud de l'Europe). Ce qui lui importe le plus, c'est l'intégration de la Russie dans le système de la sécurité européenne. Le deuxième bloc est celui desdits atlantistes (la Grande-Bretagne et les pays du Benelux). Il est partisan du maintien des relations les plus étroites possibles avec les Etats-Unis et érige volontiers la lutte contre le terrorisme en priorité des priorités. Le troisième bloc regroupe les néophytes, les membres les plus récents de l'Otan, situés en Europe centrale. Pologne en tête, ils cultivent un sentiment de peur panique de la Russie qu'ils assimilent à une menace permanente. Leur seul souci, c'est d'être sécurisés en cas d'une attaque venant de l'Est. C'est dire si Anders Fogh Rasmussen en a été réduit à faire de l'équilibrisme. Il a tenté de trouver un compromis entre ces trois tendances: "La défense des 900 millions de citoyens des pays de l'Otan doit rester au cœur de notre mission. Mais elle doit être accomplie en prenant en compte les défis actuels, et en osant des initiatives qui iraient bien au-delà des missions du pacte", a-t-il déclaré. Les pommes de discorde sont en fait nombreuses au sein de l'Alliance atlantique. Elles concernent, outre la doctrine de l'Otan, les moyens financiers pour la défense commune que les pays membres daignent bien consentir par temps de crise. Cela exaspère au plus haut niveau. Le Président américain Barack Obama en est arrivé à craindre tout bonnement la conversion de l'Otan en un club de débats. Raison pour laquelle il prône la suppression de la règle de l'unanimité qui régit le processus décisionnel de l'Alliance depuis 61 ans. En même temps, Obama souhaite octroyer au secrétaire général, par temps de crise, de larges pouvoirs dignes d'un véritable commandant en chef de l'Alliance. Légendaire pragmatisme des Américains oblige. Une proposition accueillie, bien entendu, avec le plus grand scepticisme parmi les membres européens de l'Otan. En fait, au-delà des chamailleries des options et prérogatives, l'Otan est bel et bien en mauvaise posture. L'ombre des talibans a pesé en vérité sur les travaux des ministres de la Défense et des Affaires étrangères de l'Alliance atlantique à Bruxelles. Depuis quelque temps, les attaques quasi-quotidiennes contre des convois de ravitaillement de l'Otan en Afghanistan et Pakistan défrayent la chronique. Elles s'ajoutent au nombre croissant de tués parmi les forces atlantiques engagées en Afghanistan. Les attaques contre les effectifs et les convois coûtent cher à l'Otan tant en termes de pertes qu'en termes d'image. Elles administrent la preuve d'une vulnérabilité ahurissante. Au bout de neuf ans et des poussières de guerre en Afghanistan, la victoire échappe toujours aux forces occidentales. Pourtant, près de deux cent mille soldats de l'Alliance atlantique y sont engagés. Avec, en face, d'insaisissables talibans. Ceux-là mêmes dont on annonce régulièrement l'éradication totale et qui reviennent plus triomphants que jamais. Aux dernières nouvelles, le Président afghan pro-occidental Hamid Karzai a entrepris des pourparlers en vue de partager le pouvoir avec les hommes du redoutable mollah Omar, chef suprême des talibans. Il ne faut guère se berner d'illusions. Cela équivaut, dans les faits, à abdiquer le pouvoir au profit des talibans à brève échéance. Comme le soulignait The Independent, "c'est l'utilité de l'engagement dans son ensemble qui se trouverait remise en question. Un prix qu'il faudra cependant peut-être payer pour mettre un terme à cette lamentable entreprise". En vérité, l'Otan se retrouve dans la posture de cet ancien grand caïd de province désormais malmené à loisir par le commun des enfants. Il en perd irrémédiablement son prestige, voire son respect. Alors il se met à parler, parler, parler…