Si le pays est déchiré, si le patriotisme n'a plus de valeur, si l'honnêteté n'est plus une norme, si les politiques n'inspirent plus confiance, si les syndicats font la loi, si la jeunesse sombre dans le désespoir et si le gouvernement tarde à apporter des réponses appropriées aux attentes des citoyens, les Tunisiens ne doivent que se vouer aux « saints » de la ville, comme l'a dit un jour un certain général qui « n'avait pas dit non » A la question « où va le pays ?», personne n'est capable de répondre, et il faudrait être devin pour apporter une ébauche de réponse. Mais à « comment va le pays ?», tous les Tunisiens sont unanimes, il va de plus en plus en plus mal par la faute de ses enfants. Le diagnostic est parfois sans appel et, données à l'appui, on se résout à cette réalité cruelle et crue. La Tunisie traverse l'œil du cyclone. Ceux qui ont l'art de jouer les cassandres n'hésitent pas à nous annoncer des prédictions alarmistes et dramatiques et un avenir plus sombre encore. Ils réalisent dans une sorte d'illumination que le pays « va droit dans le mur ». De quoi attiser la peur de l'avenir et semer le désespoir. Les sondages le disent et les Tunisiens les croient souvent. Alors qu'en fait, ces « baromètres » peuvent constituer un miroir déformant de l'opinion publique, peu habituée à ce genre de pratique, essayant d'influencer — la bonne foi présumée — dans un sens ou dans un autre. Le spectacle donné à l'hémicycle, lundi dernier, sous les yeux éberlués des Tunisiens a fini par les désespérer de cette classe politique et de sa capacité à susciter l'espoir et ramener la confiance. Ils se sont fait à l'idée que seuls les intérêts personnels prévalent en ces temps de crise et que l'intérêt supérieur du pays n'est qu'un slogan creux, utilisé comme un calmant, mais qui ne calme plus. Certains députés ont même directement ciblé le président de l'Assemblée Mohamed Ennaceur, remettant en cause son intégrité morale et l'accusant d'entraver la bonne marche du parlement. Accusations qui l'ont fait sortir de ses gonds, lui l'impassible qui a toujours fait preuve de la sérénité du sage africain face aux interminables palabres qu'il regarde du haut de son Perchoir avec le flegme qui sied à sa fonction et qui doit être au-dessus de la mêlée. D'autres se sont lancé des invectives les uns contre les autres. C'était à qui élevait le plus la voix, à qui vociférait le plus à l'intérieur de cette enceinte devenue un exutoire à leur colère et leur humeur. Une société permissive où tout est bafoué En vérité, ce qui s'est passé en cette journée n'est pas une première en soi, puisque l'enceinte parlementaire a été, souvent, le théâtre de vives altercations entre députés au point où du temps de la défunte Constituante on en était, même, arrivé aux mains. Les dissensions prennent, parfois, une tournure inattendue et inacceptable. Tout cela est le reflet de ce que nous vivons depuis un certain temps et qui traduit un malaise ambiant dans la société tunisienne où la violence s'est installée sous plusieurs facettes. Une violence qui ne cesse de prendre de l'ampleur en raison des facteurs qui se sont accumulés au cours des dernières années. Une société permissive où tout est bafoué, y compris la liberté d'expression qui, pourtant, est le fondement de la démocratie, parce qu'elle est devenue synonyme de liberté d'insulter. Etre libre de s'exprimer ne signifie pas que l'on peut dire tout et n'importe quoi. Cette violence est le corollaire de la méfiance qui règne entre les politiques et qui, malheureusement, s'est répercutée sur l'ensemble de la société. Au sein d'un même parti, ses dirigeants se font la guerre et n'arrivent pas à résoudre leurs clivages par la voie démocratique. Parce que tout simplement la plupart d'entre eux n'ont pas d'institutions voire n'ont pas encore organisé leur congrès. Aujourd'hui, nous devons reconnaître que la crise est multiple. Elle est à la fois politique, économique et sociale, mais aussi morale qui « se concrétise par la fin de l'espérance, la perte de confiance, la peur de l'autre ». La politique est devenue cynique, tuant tout espoir de redressement. Les hiérarques des partis politiques se laissent parfois aller et contribuent à polluer le climat déjà délétère. L'argent joue un rôle majeur dans l'affaissement des valeurs morales. Tout est à vendre, y compris son honneur ! Des politiques dont la nature profonde serait « la versatilité, l'opportunisme et l'inconstance ». D'où les notions de « girouette » ou de « caméléon » qui se sont imposées comme des éléments incontournables chez beaucoup de politiques qui changent de partis et de groupes parlementaires comme ils changent de chemise. Les accusations lancées à l'emporte-pièce contre les institutions de l'Etat, la présidence de la République, l'Assemblée des représentants du peuple et le Gouvernement, ne sont pas de nature à faciliter la mise en place des réformes appropriées. Les discours démagogiques qui flattent les passions et exacerbent les frustrations et surfent sur les douleurs et les souffrances des gens n'ont plus leur raison d'être dans la situation actuelle. Débats politiques interminables Face à cette situation, les Tunisiens se sentent épuisés par cette ébullition, fatigués par ces débats politiques interminables et angoissés face à un avenir qui tarde à se dessiner. C'est dans ce contexte que se pose la question de la moralisation de la vie publique qui est devenue une nécessité. Elle est d'abord tributaire de la mise en place de garde-fous dans une série de dispositions tendant à renforcer la transparence, à encadrer le financement des partis politiques et des campagnes électorales, à garantir l'impartialité des nominations dans les hautes fonctions, à éviter les conflits d'intérêt et l'enrichissement illicite. Elle passe, également, par l'amélioration et le renforcement des mécanismes de contrôle de déontologie, comme dans les différents corps de métiers. Cette moralisation mérite un débat de fond, un débat démocratique dont l'enjeu est de replacer l'intérêt général au premier plan et restaurer la confiance des citoyens. Pendant ce temps, le pays est entré dans une période de flou, faite d'incertitude et d'expectative. Climat propice pour les « complotistes » de la cinquième colonne qui profitent pour semer « la panique, la division et la suspicion ». Ils épluchent, à leur manière, l'histoire du pays les vieux démons, faire monter les Tunisiens les uns contre les autres et exacerber les sentiments régionalistes. En cette période de crise, nul n'est exempt de reproche et nul ne doit prétendre détenir la vérité et les clés de réussite. La responsabilité est commune et elle doit être partagée par tous les partenaires politiques, économiques et sociaux, loin de toute forme d'exclusion. Si le pays est déchiré, si le patriotisme n'a plus de valeur, si l'honnêteté n'est plus une norme, si les politiques n'inspirent plus confiance, si les syndicats font la loi, si la jeunesse sombre dans le désespoir et si le gouvernement tarde à apporter des réponses appropriées aux attentes des citoyens, les Tunisiens ne doivent que se vouer aux « saints » de la ville, comme l'a dit un jour un certain général qui « n'avait pas dit non ».