Mohamed Tlili Mansri accusé d'incompétence par son collègueAnouar Ben Hassen au sein du conseil de l'instance Après plusieurs heures de délibération et un report à deux reprises, le Conseil de l'Isie a finalement décidé mercredi soir d'ignorer l'ensemble des dépassements et des crimes électoraux et de considérer que ces derniers n'avaient aucune incidence sur les résultats du scrutin dans 349 circonscriptions électorales (le scrutin ayant été reporté à Mdhilla). Néanmoins, Anouar Ben Hassen, membre de l'Instance, a déclaré que les dossiers relatifs aux comportements illégaux de plusieurs listes, dont ceux d'Ennahdha et de Nida Tounès, ont été transférés à la justice. Conformément à la loi électorale, les contrevenants seraient passibles de peines pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement. La poursuite des délibérations pendant 10 heures montre qu'il y avait des divergences de fond au sein même du conseil. A couteaux tirés Anouar Ben Hassen n'a d'ailleurs pas attendu la proclamation des résultats définitifs pour s'en prendre au président de l'Isie, Mohamed Tlili Mansri, qu'il accuse d'incompétence, en direct à la radio nationale. "Lorsque qu'il a pris ses fonctions, l'Isie était débout, maintenant, elle est à genoux", a-t-il déclaré. Il a estimé que les relations de l'Isie avec toutes les parties prenantes étaient désormais tendues. Membre sortant du conseil, Ben Hassen a critiqué la gestion de l'Isie. Les membres de l'Instance avaient temporairement enterré la hache de guerre, mais ils ne semblent pas avoir pu résister longtemps avant de ressortir les couteaux. Membre du conseil chargé de la communication, Adel Brinsi tente d'éteindre le départ d'incendie. Pour lui, il n'y a pas lieu de parler de crise à l'Isie, même s'il admet qu'il y a un manque criant de communication entre les membres du conseil. "La gestion du centre média n'était pas parfaite et le président de l'Isie a mal communiqué avec les médias mercredi soir", a-t-il déclaré à La Presse. Mohamed Tlili Mansri, après un long monologue, mercredi soir, qui s'est poursuivi jusqu'à 23 heures, pour donner les résultats, commune par commune, n'a eu aucun mot à l'adresse des journalistes présents. Ces derniers attendaient patiemment depuis midi. Cependant, Adel Brinsi dément toute divergence de fond à propos des mesures à prendre à l'encontre des listes qui ont commis des infractions. "Les délibérations ont duré longtemps, car il fallait tout vérifier", a-t-il déclaré, tout en notant que l'intervention de l'Isie en matière de sanction aurait eu pour conséquence de favoriser les grands partis. "Lorsque vous amputez une liste ayant recueilli 6.000 voix d'une partie de ses électeurs, cela aura peu d'incidence, mais lorsque vous le faites pour une liste qui n'a que 200 électeurs, vous l'éliminez carrément", argumente Brinsi. L'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections (Atide) a dès le début dénoncé des pressions visant les membres du conseil et avait appelé l'Isie à appliquer de manière stricte la loi en vigueur. "Nous aurions souhaité que l'Isie fasse son boulot, qu'elle sanctionne les listes contrevenantes, puis de laisser ces dernières saisir les tribunaux administratifs, et à la justice de trancher. La justice peut très bien décider d'entériner les décisions de l'Isie, comme elle peut les désavouer", a déclaré à La Presse Yousra Zeddini, membre du bureau exécutif de l'Atide. L'Isie se dérobe Hier, l'Atide a tenu une conférence de presse à Tunis pendant laquelle elle a relevé les infractions et les irrégularités liées notamment au non-respect du silence électoral et au déroulement même des opérations de vote. Dans son communiqué, elle met l'Instance devant ses responsabilités et rappelle que l'Isie pouvait parfaitement réagir en s'appuyant sur l'article 71 de la loi électorale. Les 1.700 observateurs de l'ONG ont ainsi relevé la distribution de "pense-bête" et l'envoi de SMS aux électeurs un jour avant le scrutin, soit pendant la période de silence électoral. Lors de ces agissements illégaux et répréhensibles, l'Atide note l'exploitation de mineurs. L'ONG a particulièrement cité les deux principaux partis au pouvoir, à savoir Nida Tounès et Ennahdha, qui auraient, jusqu'à la fin et même le jour du scrutin, tenté d'influencer le choix des électeurs. A Thibar gouvernorat de Béja, des militants de Nida Tounès se seraient fait passer pour un institut de sondage le jour du scrutin, afin de pouvoir influencer les électeurs à l'entrée des bureaux de vote. A la municipalité de La Soukra (gouvernorat de l'Ariana), plus précisément à Sidi Fradj, la fille d'un candidat nahdhaoui aurait également fait campagne pour son père, à l'intérieur d'un bureau de vote. Comme nous l'avions constaté dans la municipalité d'Ez-zahra (voir notre édition du 7 mai), il semblerait qu'à l'extérieur des bureaux de vote, beaucoup de listes aient semé leurs partisans pour "convaincre" les électeurs encore indécis le jour du scrutin, mais déterminés à exercer leur droit. Par ailleurs, l'Atide précise que l'impartialité et la neutralité des membres des bureaux de vote n'ont pas toujours été au rendez-vous. Certains membres avaient des liens de parenté avec des candidats, ce qui est en totale contradiction avec les principes de neutralité. Aujourd'hui, l'Atide ainsi que d'autres associations de la société civile considèrent que l'Isie s'est dérobée à ses responsabilités en décidant de ne pas sanctionner, à son niveau, les dépassements pourtant relevés et signalés à la fois par les agents de l'Isie et par les observateurs indépendants.