Par Samira DAMI La critique de cinéma existe-t-elle sous nos cieux? «Non», a répondu, récemment, Ridha Béhi dans l'émission culturelle «Joumhouriyet ethaqafa» (sur Al Watania 1). Le réalisateur s'est contenté de citer un seul critique de sa génération, en l'occurrence feu Mohamed Mahfoudh, notre ancien collègue rédacteur en chef puis P.-d.g. En fait, Mahfoudh était un passionné fou de cinéma. C'était lui qui, durant une décennie, a réalisée «La page cinéma» de «La Presse» que lui avait léguée Abdelhamid Gmati. Très motivé, Mahfoudh avait pour objectif central de transmettre l'amour du 7e art et sa passion du cinéma aux lecteurs de «La Presse». Nous avons, avec le critique de théâtre et de cinéma Mohamed Moumen, collaboré par nos écrits à cette page très prisée par les lecteurs. Puis une fois P.-d.g., Mahfoudh nous a passé le flambeau et nous avons poursuivi son œuvre durant près de trois décennies en réalisant la «Page cinéma» de «La Presse». Plusieurs critiques ont collaboré de manière fixe à cette page, entre autres, le grand critique Hédi Khélil, auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma, dont les essais «Résistance et utopies», «Nouvelles du cinéma» (1994) et «L'Abécédaire du cinéma tunisien» (2006). Souad Ben Slimane, Mahrez Karoui, Asma Drissi, Hassouna Mansouri ont, également, étroitement collaboré à cette page en tant que critiques. Ainsi, de là à nier purement et simplement l'existence de la critique cinématographique est, pour le moins, étrange, cela d'autant que parmi les professionnels du cinéma, beaucoup le pensent. Or, déjà, du temps de Mohamed Mahfoudh, la critique de cinéma était riche de plusieurs plumes tels que Mounir Fellah (la revue hebdomadaire «Ecrans de Tunisie»), Mustapha Nagbou, Sophie El Goulli, Amor Madani, Neïla Gharbi et Lotfi Ben Khalifa (la revue mensuelle «7e art»), Moncef Ben Mrad (la revue «Charit», fondée par la FTCC et la FTCA), Férid Boughedir (Jeune Afrique), auteur d'une thèse écrite et audiovisuelle sur les cinémas arabe et africain. Kamel Ben Ouannès (Le Temps), Khmaïes Khayati, auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma, dont «Salah Abou Seïf» et «Le cinéma arabe» (France-Culture, Al youm essabaâ et autres), Taher Chikhaoui («Cinécrits» et autres), d'autres revues tunisiennes et étrangères, Nacer Sardi (le site «Cinéma tunisien» et autres journaux). Maintenant, des critiques et journalistes de cinéma de la jeune génération accompagnent, aujourd'hui, les films par leurs écrits dans les quotidiens, revues et sites de la place, tels Lotfi Larbi Snoussi, Néjia Smiri, Hayet Essayeb, Wissem Mokhtar, Salem Trabelsi, Narjess Torchani et autres. Or, nier l'existence de leur tâche et mission relève du pur et simple déni. Et c'est d'ailleurs, là, l'attitude de plusieurs réalisateurs pour lesquels la critique ne peut être que «positive» ou «constructive», comme ils disent, mais à défaut, elle serait, alors, tout simplement inexistante. Outre une opinion, la critique apporte un éclairage particulier sur un film donné, cela qu'elle soit impressionniste, analytique, artistique, historique, sociologique ou psychanalytique, etc. Que leur formation soit académique ou sur le tas, les critiques, en commençant par l'un des pionniers, en l'occurrence le grand Taher Cheriaâ, jusqu'aux plus jeunes journalistes de cinéma, ont toujours accompagné les films produits, cela en amont (reportages sur les tournages, entretiens avec le réalisateur, les acteurs, techniciens et producteurs); pendant, soit à la sortie du film (présentations des films et entretiens avec les principaux protagonistes) et après en aval (critiques et interviews analytiques). Certes, on sait que les rapports et la relation entre les réalisateurs, et même les grands cinéastes de par le monde, n'ont jamais été au beau fixe, mais aux professionnels du cinéma de comprendre que la critique de cinéma ne relève pas de la promotion commerciale élogieuse et dithyrambique, mais de l'analyse aussi bien sur le fond que sur la forme afin d'apporter une réflexion et un éclairage particuliers sur les films. Le cinéma a besoin de la critique sans laquelle il n'existerait pas à part entière et sans laquelle il ne pourrait pas évoluer. Ainsi, les réalisateurs de films devraient comprendre, loin de toute subjectivité et ressentiments, que ce n'est pas parce que certaines critiques de leurs films ne les caressent pas dans le sens du poil qu'ils doivent conclure que l'art de la critique n'existe pas sous nos cieux. Il est vrai que par les temps qui courent, les propos légers et à l'emporte-pièce pullulent et sont, quasiment, devenus la norme.