Jusqu'ici, le président Béji Caïd Essebsi, se mure dans le silence, mais il parlera bientôt, croit-on savoir. Ceux qui connaissent de près le vieux briscard, vieux routier de la politique et de ses arcanes, savent qu'il se délecte de pareille situation. Une situation conflictuelle dont aussi bien Hafedh Caïd Essebsi que Youssef Chahed pourraient faire les frais communément La chaleur estivale qui pointe son nez en cache une autre. Celle de la guerre politique fratricide que se livrent les nidaïstes et qui déborde sur l'Etat, les institutions, le gouvernement. Il faut se fier à l'évidence. L'establishment est désormais divisé. D'un côté, les partisans de Youssef Chahed, chef du gouvernement, de l'autre ceux de Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de Nida Tounès. Et, entre les deux, une constellation de partis, organisations et groupes d'intérêt ou de pression plus ou moins acquis à l'un ou à l'autre clan. La guerre larvée, initiée il y a des mois au sein de Nida Tounès, principal parti de la majorité, a fini par gripper l'appareil gouvernemental. Elle a mûri au fil des semaines et des mois. Au point que, lors des pourparlers en vue de la mise au point du Document de Carthage bis, Nida a exigé le départ de son propre chef du gouvernement. La centrale syndicale, l'Ugtt, lui a emboîté le pas. De son côté, Ennahdha, autre principal parti de la coalition gouvernementale, a préféré temporiser, soufflant le chaud et le froid. S'il a, dans un premier temps, refusé de souscrire au nécessaire départ du chef du gouvernement, le mouvement Ennahdha prône désormais de reprendre les négociations avec, au préalable, un nom de probable chef de gouvernement alternatif. L'Ugtt est, elle aussi, depuis quelques jours aux abonnés absents. Après ses attaques et critiques particulièrement virulentes à l'endroit de Youssef Chahed et de son action, son silence frise désormais la chape de plomb. Entre-temps, Youssef Chahed avait franchi le Rubicon. Dans une courte allocution télévisée mardi soir, il a fustigé nommément Hafedh Caïd Essebsi, l'accusant d'avoir détruit le parti. Il en a appelé également à une reprise en main de Nida tout en annonçant haut et fort qu'il compte demeurer aux affaires. Une espèce de coup de pied dans la fourmilière en quelque sorte. Mais chargée de risques et périls. Dans la foulée, Youssef Chahed a annoncé qu'il procédera à un remaniement gouvernemental après un passage en revue du bilan de ses sociétaires au gouvernement. Il semble même qu'il compte le faire incessamment. D'ailleurs, il en discutera avec le président de la République, Béji Caïd Essebsi, lors de l'entrevue qu'il lui accordera demain matin au Palais de Carthage. Certains en décèlent un signe avant-coureur dans la démission — forcée ou consentie — de Mofdi Mseddi, considéré jusque-là comme l'un des principaux lieutenants et de Youssef Chahed. Youssef Chahed a-t-il sacrifié l'un de ses fidèles en vue d'apaiser l'Ugtt entre autres ? Les spéculations vont bon train, mais cela demeure opaque. Ce que l'on sait c'est que le texte de la démission avait été élaboré, transmis et mis en veilleuse plus de vingt-quatre heures durant avant d'être rendu public. Les ministres se perdent en conjectures, eux aussi. Qui restera ? Qui partira ? Lors du dernier Conseil de ministres tenu avant-hier, M. Youssef Chahed avait dit, mi-solennel mi-badin en ouverture de séance : « Nous sommes tous là on ne sait guère pour combien de temps encore...». Et on parle même de certains secrétaires d'Etat qui seraient promus au rang de ministres tandis que des ministres à vocation économique surtout perdraient leurs fauteuils. Mais rien ne filtre clairement. Dans le camp d'en face, on fourbit ses couteaux aussi. Hafedh Caïd Essebsi et ses séides multiplient les rencontres nocturnes. Ils préparent la riposte dans une atmosphère de veillée d'armes. Youssef Chahed les avait pointés d'un doigt accusateur, en réaction à leurs charges il est vrai. La mécanique aveugle de l'action-réaction est mise en branle. Jusqu'où ? Nul ne la sait pour l'instant. Nida Tounès envisagerait également la tenue de son prochain congrès en septembre ou en octobre. Taïeb Baccouch, ancien S.G. du parti, serait appelé à superviser les préparatifs de ce congrès. On veut élargir les horizons à des revenants, jusqu'ici écartés ou en rupture de ban, tel Mahmoud Ben Romdhane, et à de nouvelles figures. On parle même de possibilité de cooptation au sein du futur bureau politique, en plus de l'élection de la majorité de ses membres. Jusqu'ici, le président Béji Caïd Essebsi se mure dans le silence, mais il parlera bientôt croit-on savoir. Ceux qui connaissent de près le vieux briscard, vieux routier de la politique et de ses arcanes, savent qu'il se délecte de pareille situation. Une situation conflictuelle dont aussi bien Hafedh Caïd Essebsi que Youssef Chahed pourraient faire les frais, communément. Farouches adversaires, solidaires dans la défaite en quelque sorte. Les plus jeunes piaffent, les vieux rient sous cape.