Par Khaled TEBOURBI Plus de quatre décennies d'existence et les JCC se dressant encore, admirables, il faut en convenir, de continuité, de ténacité, fortes, toujours, de leur auréole historique, du prestige de leur leadership arabe et africain, du legs de ses pionniers, du parcours combattant de ses générations de cinéastes et, désormais, en dépit d'un contexte cinématographique mondial de moins en moins favorable, de ses ambitions et de ses projets d'avenir. Une institution doublée d'une tradition, enracinée, il n'y a pas à dire, dans notre paysage culturel. Mieux : depuis quelques années, heureux paradoxe, un événement attendu, couru, à travers lequel on découvre une insoupçonnable passion du public pour le 7ième art. A une époque où la télévision sévit, où les salles de cinéma se réduisent à la portion congrue, ce foisonnement soudain de spectateurs, ces guichets inopinément pris d'assaut, cette cité qui se convertit, du jour au lendemain, à la cinéphilie, donnent assurément à se réjouir, mais aussi, si l'on y regarde bien, à réfléchir. On a parlé d'un paradoxe : la vraie question du cinéma tunisien est là. Comment expliquer, en effet, le succès et l'audience épisodiques des JCC, alors que, par ailleurs, entre une édition et une autre, les problèmes de ce cinéma restent les mêmes : une production minimaliste malgré l'appui constant de l'Etat, une pénurie d'auteurs et de scénarios, un recul progressif de la fréquentation des salles qui ferment, une présence de plus en plus discrète dans les grands festivals régionaux et internationaux et, fait inquiétant, des producteurs locaux en mal chronique de ressources? L'impression, désolés d'y venir, est que les JCC ne seraient que «l'arbre qui cache la forêt». Une joute périodique, «isolée», si faste soit-elle, si prestigieuse, si enracinée, si attendue, si courue, mais qui, une fois passée, n'aura pas exercé d'effet d'entraînement sur un secteur qui en a pourtant tellement besoin. Rien ne remplace le talent A-t-on conscience de ce décalage? Certes oui. Le Président Ben Ali a décrété l'année 2010, année du cinéma. Cela impliquera, nécessairement, un renforcement sensible de l'infrastructure cinématographique, une augmentation, tout aussi substantielle, de l'aide à la création, une relance de la construction de nouvelles salles du 7e art. La profession, de même, semble mobilisée, décidée à faire avancer les choses. Elle propose déjà un cycle annuel pour les JCC. Le cinéma va vite dans le monde et les films arabes, maghrébins et africains sont en croissance continue. Le cycle bi-annuel ne nous convient plus. Le quota de quatre à cinq long métrages par an nous rendait déjà très peu concurrentiels; avec une périodicité plus rapprochée, les JCC stimuleront, sans doute davantage, nos producteurs et nos réalisateurs. Mais cela ne serait pas tout. Restera à travailler à la qualité de nos films. L'infrastructure, les salles nouvelles, l'augmentation du quota annuel de production, ne remplaceront jamais le talent. Notre «noyau dur» de cinéastes (ceux qui ont déjà fait leurs preuves) devrait se remettre scrupuleusement à la tâche. On a de la peine à comprendre qu'il soit subitement tombé en panne d'écriture. Il n'y a pas longtemps, nombre de ces réalisateurs d'expérience avaient encore leurs entrées dans le circuit cinématographique international. Ne cherchons plus d'excuses, à cette époque ils étaient simplement plus inspirés, constamment sur la brèche. On n'en démordra pas : l'assistance étatique, «la sécurité» des subventions ne doivent pas être étrangères à leur récent relâchement. Une relève bien prête Restera, aussi, à bien prendre en charge la relève. Celle-ci se manifeste de belle façon dans le court métrage. Quelques noms et quelques titres en disent assez sur le potentiel d'une génération de jeunes cinéastes qui a de l'imagination à revendre, et les pieds déjà bien engoncés dans les réalités du cinéma contemporain. Prendre en charge la relève, c'est surtout la pousser à avoir de l'audace créative, à développer, le plus tôt possible, un regard et un imaginaire nouveaux. L'art n'attend pas ni ne se forge forcément, comme le disait si justement, l'autre soir à Bila moujamala, notre confrère Lotfi Laâmari, à coups de «tremplins» et «d'essais». D'où la crainte que la pratique débutante du «court» ne retarde, au contraire, l'éclosion des talents filmiques en herbe. Le cinéma tunisien a une bonne tradition derrière lui, de grands fondateurs et des maîtres d'œuvre reconnus et confirmés. Les JCC fêteront bientôt leur demi-siècle d'existence, et elles démontrent, à chaque rendez-vous, combien le 7e art exerce encore son attrait sur nos publics. L'Etat, pour sa part, garde le cap providentiel et ne lésine sur aucun soutien. Tout un background, plus une relève et des moyens : Qu'attendre, dès lors pour, enfin, aller de l'avant?