Le public a réservé une ovation à l'équipe de Yasmine Chouikh après la projection de Jusqu'à la fin des temps, une des 13 fictions en compétition au Festival du cinéma arabe de l'IMA, à Paris. La réalisatrice, qui appartient à la «Nouvelle vague» du cinéma algérien, signe ici son premier long-métrage. Un film ancré dans le terroir, mais aussi une métaphore sur la société algérienne. Film algérien non toxique cherche distributeur à l'international... Cette comédie caustique et macabre met en scène avec fraîcheur une histoire d'amour bouleversante entre un homme et une femme d'un certain âge : Joher, venue se recueillir sur la tombe de sa sœur à Sidi Boulekbour, et Ali, le fossoyeur de ce village perché sur les plateaux aux accents bleutés de la région de Mostaganem. Un endroit où «tout le monde vit pour attendre la mort», mais cette fois, la vie les rattrape. Tombés amoureux au premier regard, choisiront-ils de se marier ? C'est là toute l'intrigue de ce film très réussi aux multiples rebondissements. Chant entêtant, incantations. Des hommes en procession suivent un cercueil couvert d'une étoffe verte où s'étirent des calligraphies arabes peintes en jaune. Bleu de chauffe pâli par le temps, barbe et cheveux grisonnants, Ali, pioche en main, œuvre au bon déroulement de la cérémonie. Vues de l'intérieur, filmées en contreplongée, des têtes, interrogatives, se penchent du plus qu'elles peuvent vers le cercueil. La pierre tombale se ferme. «La famille du défunt demande aux présents d'avertir tous les absents», dit l'imam, tout de blanc vêtu, qui entame la première sourate du Coran. Le business de la mort Ali verse les dernières pelletées sur le monticule de terre. Le cimetière venté a repris ses allures paisibles. Un jeune à vélo zigzague entre les tombes. Ali le traite de «mécréant». Le ton est bon enfant. Les cortèges se succèdent à Sidi Boulekbour où les morts se bousculent pour dormir sous la protection du Saint, dont le tombeau trône en haut de la colline. C'est «un lieu de pèlerinage dont les jeunes rêvent toute l'année», dit quelqu'un. Déjà, sur la route, une bétaillère remplie d'hommes suit un bus brinquebalant d'où s'échappent des rires. Youyous et battement de mains. A l'arrière, des jeunes filles en fleur dégustent les gâteaux qu'une matrone fait circuler. Seule, une femme à l'air triste refuse de manger. Elle comptait faire un aller-retour, mais le prochain bus ne passe que dans trois jours... Châle sur la tête et cabas en main, elle arpente les allées du cimetière, observant les familles venues fleurir les tombes de leurs chers disparus. Puis, pénétrant dans la maison décatie de sa sœur, elle fixe les vieilles armoires qu'elle n'ose encore ouvrir. Ses yeux s'emplissent de larmes. Elle laisse éclater son chagrin. Elle pense à ses propres funérailles. Préparer sa mort, c'est justement ce que propose le bonimenteur qu'elle croise le lendemain. Du haut de son camion, il vante ses formules d'enterrement payables à l'avance par les vivants. Derrière lui, sur le plateau du pick-up, des chaises en plastique multicolores entourent un cercueil en bois. «C'est garanti. Il descend tout droit dans le trou», affirme-t-il. «Va brûler en enfer», lui lance un homme qui n'accepte pas cette «industrie» de l'enterrement. Le film se moque du business de la mort. Il se moque des pleureuses et de tous les hypocrites qui rôdent autour des vieux vivants. Seul argument que Joher retient du bonimenteur : elle ne veut pas «mourir seule livrée aux chats». Elle s'en confie à Ali qui l'introduit chez l'embaumeuse. La voici entre de bonnes mains. La vieille est très demandée. Entre deux lavages d'orteils, elle reçoit sur son portable d'innombrables appels de clients aux abois que rassurent ses formes arrondies.