Il se décrit avant tout comme un militant du cinéma, voire un militant tout court. Sa direction de la cinémathèque depuis mars 2018, il l'a décrite comme «quelque chose qui l'a rattrapée». Son parcours est assez atypique; autodidacte. C'est la fréquentation de la cinémathèque, notamment en France, qui lui a donné ses «premières armes». Cette exposition dense aux œuvres cinématographiques lui a permis de maintenir une réflexion permanente et un souci constant quant aux moyens de hisser la qualité et d'accroître la quantité des films maghrébins de façon générale. Maintenant, cogiter est pour lui un «fardeau» très lourd à porter surtout quand ces questions ne sont pas partagées de façon institutionnelle. Pour Hichem Ben Ammar, la création d'une cinémathèque est un rêve qu'il porte depuis quatre décennies et qu'il voit se concrétiser et prendre forme. D'où vous vient cette envie de développer le cinéma ? Je ne suis pas le seul à avoir ce souci de conserver et de renouveler l'amour pour le cinéma en rediffusant des chefs-d'œuvre du 7e art. En l'occurrence, des personnalités dans ce domaine comme Annie Khadija Ben Chedli Djamal, ancienne directrice commerciale à la Satpec (Société anonyme tunisienne de production et d'expansion cinématographique) et cofondatrice de Sud Ecriture, Abdelkrim Gabous, un critique cinématographique et Nouri Zanzouri, l'un des porteurs depuis ses débuts du Festival International du Film Amateur de Kélibia. La cinémathèque est un projet qui s'est construit sur plusieurs générations mais qui a souvent rencontré des écueils. Personnellement, j'ai assisté aux déboires du projet. 38 ans durant, j'ai vu qu'on arrivait plusieurs fois à mettre en place notre rêve mais quelque chose arrivait in extremis pour tout faire couler. Les arguments étaient multiples et variés. Des fois, disait-on, que ce n'était pas la priorité, d'autres, qu'il valait mieux reporter, ou encore que l'infrastructure n'était pas encore au point, etc. De mon point de vue, la marraine de la cinémathèque est Sofia Golli. C'est une pionnière du cinéma tunisien et elle est ma mère spirituelle. C'est une historienne de l'art, poétesse. C'est une femme qui a connu Henri Langlois et une de ses proches. Lui qui était le fondateur de la cinémathèque française. C'est une dame qui avait côtoyé les grands de ce monde de l'art, à l'instar de Pablo Picasso, Alain René, Jacques Prévert. C'est une femme qui était à l'avant-garde et c'est elle qui m'a injecté l'importance d'avoir des institutions qui encadrent le goût et qui inculquent l'amour de la culture et de la réflexion. Quelle vocation première devrait avoir la cinémathèque? Une cinémathèque est tout d'abord faite pour conserver, sauvegarder la mémoire, les archives audiovisuelles. C'est un lieu qui est fait aussi pour accueillir les chercheurs, particulièrement les historiens, les réalisateurs et les férus du monde de l'art. L'objectif de la cinémathèque est que les films se maintiennent, demeurent et surtout ne disparaissent pas de la mémoire collective. Ainsi, la cinémathèque est un lieu pour redonner vie, réactualiser, valoriser le travail artistique et vivifier l'œuvre cinématographique. En même temps, cette conservation des œuvres visuelles est une façon de participer à l'écriture de l'histoire de notre pays. Cela nous permet d'assister à toute sorte d'éléments nous renseignant sur l'époque dans laquelle a été réalisée l'œuvre. Dans cette perspective, c'est une mine de richesse inestimable à laquelle la cinémathèque offre l'occasion de découvrir ou redécouvrir. Encore faut-il un savoir-faire dans la rediffusion et l'accompagnement pédagogiques de ces œuvres pour qu'elles communiquent avec le public contemporain. La cinémathèque est un lieu pour les cinéphiles ? Avant tout, on peut dire que la cinémathèque est une école du regard. Elle œuvre pour une activité participative en toute liberté, chose qui n'était pas possible durant le régime dictatorial. C'est un lieu de formation. Cette cinémathèque est donc un lieu de culture cinématographique œuvrant à la dissémination de la culture de l'image en amont en espérant que nos salles se remplissent de nouveau comme au bon vieux temps. Cette cassure entre la production cinématographique et les différents publics vient du fait que la société tout entière avait négligé la formation à la culture de l'image. La cinémathèque veut participer à la relance de la cinéphilie pour que le marché de ce 7e art puisse être viable et productif. Quelle dynamique proposez-vous ? Quand on pourra le faire, on essayera d'avoir les réalisateurs ou les scénaristes des films. La porte sera donc ouverte aussi bien aux réalisateurs locaux qu'étrangers. À vrai dire, la vocation de la cinémathèque est le cinéma du sud, c'est-à-dire les pays qui sont en voie de développement. Autrement dit, notre priorité, c'est le cinéma précaire, c'est-à-dire celui qui n'a pas accès au grand marché international et qui ne bénéficie pas de l'aide étrangère. Par la suite, vient le cinéma classique. Ce dernier a bel et bien fait l'histoire du cinéma et ne peut pas passer sous silence. Ensuite, vient le cinéma de patrimoine, notamment notre patrimoine à nous ou bien celui de nos voisins proches tels que l'Algérie par exemple. Ce pays à de nombreux films de terroir. Quelle vision donc pour cette cinémathèque? C'est apporter un oxygène, une matière et une nourriture à de futurs créateurs qui n'en ont pas eus. La cinémathèque, nous la voulons comme un enrichissement de la culture cinématographique. C'est aussi la sauvegarde d'un trésor national. Notre objectif n'est pas commercial, c'est principalement pédagogique. Le travail que la cinémathèque est en train de faire est comparable à celui de la «fourmille». C'est à l'image des scribes dans l'Egypte ancienne. Notre vocation repose, en effet, sur trois principaux volets : conserver, restaurer et surtout transmettre. Pour finir, le contenu des films fait après la «révolution» est-il sauvegardable par la cinémathèque? En principe, la cinémathèque n'évalue pas. Le contenu varie d'une décennie à l'autre en fonction des préoccupations. Ce qui est déficitaire aujourd'hui dans la filière du cinéma tel qu'il se fait actuellement, c'est un peu l'éthique. Il y a une crise éthique et non pas celle du contenu. C'est une crise d'appartenance. La production cinématographique est marquée par la logique de l'opportunité. Ce qui fait que nous avons présentement un cinéma d'opportunisme qui cherche la facilité au niveau de la promotion et de la distribution. Or, le cinéma tunisien est justement un cinéma militant, c'est-à- dire qui cherche à construire une colonne vertébrale et non pas un simple contrat lucratif. Ce fameux souffle de la «révolution» que les jeunes nous apportent, à vrai dire, ils nous apportent aussi des leçons d'opportunisme malheureusement. Actuellement, les films que nous avons sont très discutables quant à leur valeur artistique. En tant que directeur de la cinémathèque, je dirais que c'est l'histoire qui va juger de la qualité de ces films que nous avons vus depuis janvier 2011. La cinémathèque en ce sens, c'est la mise en perspective dans le temps.