Cheveux en bataille, légère barbe sur son visage juvénile, Maurice Kirya soigne son image. Entre jazz et variétés, ses compositions ont conquis un public essentiellement urbain. Contrairement à la plupart des chanteurs ougandais, Maurice Kirya est en effet attentif à la culture occidentale. Peu connue par le grand public ougandais, sa musique, intimiste, se prête bien aux fêtes feutrées des ambassades et des grands hôtels, où se croisent les expatriés. A 25 ans, l'inventeur du «Mwooyo» — la soul music ougandaise — a déjà une longue carrière derrière lui. Dès l'âge de 16 ans, se souvient-il, il allait en compagnie de ses frères, également musiciens — le rappeur Alex Kirya, dit Crazy Native et Elvis Kirya, dit Vamposs — égailler les cérémonies de mariage et de remise de diplôme dans la capitale Kampala. C'est ainsi que les jeunes garçons parviennent à payer leurs études jusqu'à la terminale. Les trois frères cultivent chacun des styles distincts et mènent désormais leur carrière séparément. Ils se retrouvent dès qu'ils le peuvent, le dimanche chez leur mère, pour se ressourcer. Enfance musicale Ce goût familial pour la musique leur vient de leur grand-père, qui jouait du piano, de la guitare et de l'accordéon. Leur père les amenait parfois écouter des concerts dans un hôtel du centre-ville. Leur mère écoutait Elvis Presley et de la country. «Alors que les autres enfants de notre âge jouaient au foot, nous, on s'amusait à jouer de la musique en famille», se souvient Maurice Kirya. Sa première guitare, il l'a construite lui-même avec des morceaux de bois. Elle ne dura pas et quelques mois plus tard, Maurice Kirya en découvrit une vraie, un peu brûlée, chez un menuisier. Il la fit réparer et raconte qu'il se promenait désormais avec elle, sans savoir y jouer. Jusqu'au jour, où il fit la connaissance d'un musicien ougandais mythique : le vieux Jackson Kimera. «Il était ivre et sale», se souvient-il. «J'aime parler avec les gens saouls parce qu'ils disent la vérité. Il m'a dit qu'il était le plus grand guitariste vivant. Alors je lui ai passé ma guitare. Quand il a joué, ma vie a changé. Je n'aurais jamais imaginé qu'une telle musique puisse sortir de cette guitare. Il a accepté de m'apprendre à en jouer. En échange, je lui donnais à manger, des vêtements et de l'alcool». Maurice Kirya a gardé de cette rencontre une rare exigence musicale. «Alors que la plupart des musiciens en Ouganda chantent sur une bande sonore avec des boîtes à rythme, Maurice s'est toujours entouré des meilleurs musiciens. Il n'est pas motivé par le gain mais par la gloire», remarque l'un de ses producteurs, Nicolas Mayanja. «Je veux diriger une génération, je veux ouvrir la voix d'une musique de qualité. Je veux devenir une légende», renchérit Maurice Kirya. Ce musicien éclectique représente la nouvelle génération africaine née dans les villes, imbibée de culture occidentale, mais attachée à une culture africaine métissée qu'il a de la peine cependant à définir. Les premiers studios de musique sont apparus en Ouganda dans les années 1990. Auparavant, les musiciens participaient à des concerts mais leur musique est aujourd'hui en grande partie oubliée. Les références musicales de Maurice Kirya sont donc essentiellement étrangères. Ses références sont aussi diverses que Michael Jackson, auquel il aime s'identifier, ou la talentueuse Esperanza Spalding. «Maurice est l'un des seuls chanteurs ougandais qui est parvenu à s'entourer de bons musiciens, qui a une bonne présence sur scène et qui est exportable», remarque Jean-Jacques Bernabé, le directeur de l'Alliance française de Kampala. Pour encourager la renaissance de la scène musicale ougandaise, Maurice Kirya organise depuis plusieurs années un rassemblement hebdomadaire d'artistes, à Rouge, une boîte de nuit de Kampala. Sur scène, le jeune artiste joue principalement de la guitare. Mais aussi parfois du piano, des percussions, de l'harmonica. Il apprend la trompette. «J'essaye de comprendre ce que les musiciens pensent. J'essaye donc d'apprendre à jouer le plus d'instruments possibles», explique-t-il. Le soir, pour s'endormir, il met de la musique classique, «pour que mes rêves ne sortent pas de la piste sonore», dit-il en riant.