On voit de plus en plus de jeunes élèves dans la rue sniffer de la colle ou fumer des joints en appuyant frénétiquement sur les touches de leur téléphone Tout le monde sait que l'adolescence est une période de la vie extrêmement importante pour la construction de la personnalité. Malheureusement, parfois elle se fait dans la douleur et la souffrance, faute d'une cohésion familiale, d'un soutien continu et d'un accompagnement de l'institution éducative. En outre, cette période peut durer beaucoup plus longtemps qu'on ne le croit en raison d'une scolarité difficile, d'un mariage tardif ou de la difficulté à trouver du travail. Ecrasés sous le fardeau des frustrations, du stress, de la privation et de l'échec scolaire, certains élèves, en manque de repères tombent dans la délinquance, commencent par fumer des cigarettes, boire de la bière puis consommer des psychotropes pour «expérimenter les choses de la vie». En général, l'initiation à ces fléaux vient surtout des amis intimes, et ce, dans l'objectif de fuir les difficultés et la routine de l'existence tout en imitant les autres. Et c'est surtout dans les parages des collèges et lycées, ainsi que dans les quartiers populaires, qu'on peut se procurer des barettes de cannabis appelées zatla à des prix accessibles et les fournisseurs sont nombreux. Par ailleurs, comme les enseignants s'absentent très souvent, cela encourage les élèves à rester dans la rue en attendant les cours suivants, ce qui met leur santé et leur sécurité en danger avec la présence de jeunes dealers qui leur proposent des drogues bon marché et des cigarettes de contrebande. De ce fait, tout le monde assiste, impuissant, à ces spectacles de désolation. Le directeur d'un collège nous confie dans ce contexte : «Il nous arrive d'identifier des dealers connus dans toutes sortes de trafics devant notre institution éducative, mais nous ne pouvons rien faire car il n'y a pas de rondes policières sur place. En outre, les élèves consommateurs sont toujours sur leurs gardes et se montrent discrets et prudents. Parfois, quand je les vois en train de fumer un joint à proximité du collège, je ne peux rien faire car je n'ai pas le droit d'intervenir hors de l'établissement. En fait, ce fléau est lié surtout à l'état psychologique de l'élève. La consommation de cannabis est d'autant plus grande que l'élève souffre de troubles psychologiques. C'est pourquoi je lance un cri d'alarme sur la gravité de la situation qui risquerait l'implication de toutes les parties prenantes afin d'améliorer l'environnement éducatif et de promouvoir les cellules d'écoute avec pour objectif de protéger mes adolescents contre le stress, la drogue et le mal-être». Notons dans ce contexte que les actes de braquage et d'agressions sont devenus très fréquents devant les institutions éducatives qui ne sont pas protégées par des clôtures. En effet, certains clochards n'hésitent pas à s'introduire dans les salles de classe, à provoquer des disputes, à insulter les enseignants et à vendre de la zatla et des cigarettes aux élèves. Explosion de la vente de psychotropes Cyrine, professeur de mathématiques, s'inquiète de la consommation de la drogue aussi bien par les filles que par les garçons : «Cela va de la zatla et des comprimés hallucinogènes à d'autres substances moins chères et plus dangereuses, telles que les colles fortes, les cirages, les diluants et mêmes la koukka (une plante accessible surtout dans les quartiers populaires). Il est même arrivé que des élèves soient rentrés en classe en état d'ébriété sans que l'administration ne s'aperçoive. Et à ces moments-là, c'est à l'enseignant de savoir gérer ce genre de situation, car il risque d'être insulté et même violenté comme cela est arrivé cette année…». Sa collègue Saloua renchérit : «Certains élèves qui s'apprêtaient à passer le Bac ont été écroués, non seulement parce qu'ils ont fumé des pétards, mais aussi parce qu'ils en vendaient à leurs amis. C'est surtout l'absence de valeurs sociales et morales, le manque de liens solides, un champ politique anxiogène, un pays presque ingouvernable, la marginalisation et la pauvreté qui favorisent les troubles psychologiques, les tentatives de suicide et l'explosion du fléau de la drogue en milieu scolaire. En fait, beaucoup de malaise entoure les jeunes qui réclament un peu plus d'égards dans un environnement souvent hostile…». D'après les témoignages recueillis auprès de membres d'ONG et de la société civile, l'explosion du marché des produits psychotropes au sein de la Médina de Kairouan, et dans les milieux ruraux, a facilité l'accès des jeunes désœuvrés à ces drogues et à franchir les lignes de l'interdit. Ainsi, on voit souvent de jeunes élèves sniffer la colle, fumer des joints tout en appuyant frénétiquement sur les touches de leurs téléphones ou de leurs tablettes. Il va sans dire que ce fléau touche toutes les classes sociales, y compris les jeunes aisés auxquels on propose du Subutex, de la cocaïne ou de l'Ectasy. Cela a engendré beaucoup de dérapages, de délinquance juvénile relative au vol et au pillage. Du côté des jeunes consommateurs, ils considèrent que le phénomène de la drogue, phénomène rare naguère dans les collèges et lycées, est devenu une habitude de tendance et omniprésente parmi les élèves. Férid, 17 ans, nous confie dans ce contexte : «Vivre sans rien attendre me paraît affreux. Je suis fatigué d'avoir le cœur sec et de désespérer. C'est pourquoi le cannabis me procure un effet relaxant. J'ai envie de foutre ma vie en l'air, en signe de déception et de refus de la société. En fait, je préfère une autre existence à la mienne, trop triste et trop solitaire…». Pour conclure, il serait judicieux d'accorder l'intérêt requis aux centres de médecine de la toxicomanie et de les généraliser à toutes les régions.