Les Tunisiens, dans leur écrasante majorité, sont révulsés. Des affiches géantes mises en place le week-end dernier dans différents endroits et places au Qatar simulaient une vieille dame tunisienne transie de froid avec l'inscription «La Tunisie au-dessous de zéro». Une autre mention exhorte la population à dédier quelques rials qataris pour sauver la Tunisie. Aussitôt affichées, les enseignes ont été dénoncées par un large spectre de Tunisiens. La Toile et les réseaux sociaux s'en sont emparés, se sont enflammés. Et, comme toujours, les Tunisiens ont fait montre d'une promptitude salvatrice dans la défense de la mère patrie. Tous s'accordaient pour y voir une atteinte caractérisée à la dignité de la Tunisie et des Tunisiens. Les Qataris y ont récolté des vertes et des pas mûres. Ils ont fait l'objet de railleries, de contre-affiches et d'un tas de trouvailles dans le registre de la dérision, de l'humour noir et de la moquerie. Quelques heures plus tard, des informations faisant état d'excuses des autorités qataries ont été diffusées par des sources plutôt vagues. De hauts responsables tunisiens auraient intercédé, suite à quoi les Qataris auraient décidé de retirer lesdites affiches, œuvre de l'association Qatar Charity (Qatar al-khayriyya). Officiellement, rien n'a pourtant filtré et la polémique ne s'est point éteinte. Bien évidemment, l'incurie des autorités locales en matière de développement et de projets sociaux a été pointée du doigt. «S'ils nous considèrent comme tels, répète-t-on à satiété, c'est parce que nos gouvernants et notre classe politique nous ont logés à mauvaise enseigne». Cela n'excuse pas pour autant la grave faute — plutôt intentionnelle que fortuite — des Qataris et de leurs sbires et affidés. Et pour cause. Il se trouve des gens, en Tunisie, pour oser défendre les Qataris et justifier la grave offense. Même s'ils sont minoritaires, ils ont, piteusement, fait acte de présence. Et d'allégeance à leurs maîtres. N'empêche. Qatar al-khayriyya existe bel et bien en Tunisie. Elle a déjà défrayé la chronique à maintes reprises. Sous le couvert d'œuvres et d'actions caritatives, elle s'immisce dans les interstices du tissu social et prétend créer des allégeances moyennant dons et apports. Des allégeances moyennant une contrepartie sonnante et trébuchante au vu et au su de tous. Pourtant, personne ne réagit. De hauts responsables politiques tunisiens y sont impliqués, tel le frère du député Imed Daimi dirigeant à Tounes al-Irada parti de l'ex-président Mohamed Moncef Marrouki. Des responsables d'Ennahdha y sont, eux aussi, à pied d'œuvre. Cela pose la lancinante question du contrôle par l'Etat des ressources financières des partis politiques et des associations. Sur les quelque 22 mille associations qui existent en Tunisie, dont la moitié ont vu le jour après la révolution de 2011, pas moins de 12 mille agissent dans l'opacité totale et intégrale, sans aucun contrôle. Leur financement étranger est patent mais demeure une énigme, voire un tabou. Des partis politiques aussi perçoivent d'énormes sommes d'argent d'Etats et d'ambassades de pays étrangers en toute impunité. Pourtant, la Commission tunisienne des analyses financières (Chafik) pourrait aisément en établir la traçabilité. La question n'est pas un chapitre clos. La lumière devrait être faite sur cette question scabreuse et gravissime. Par les autorités au premier chef.